Citations sur Ma soeur, serial killeuse (44)
« Qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ? » ai-je sifflé à mi-voix à l’intention d’Ayoola, même si je savais que son geste avait été instinctif ; dicté, peut-être, par le même instinct qui l’avait poussée à planter un couteau dans une chair humaine.
« Désolée », s’est-elle contentée de répondre. J’ai ravalé les mots qui menaçaient de jaillir de ma bouche. Ce n’était pas le moment.
J’ai épongé le sang avec une serviette de toilette que j’essorais dans le lavabo, et j’ai répété l’opération jusqu’à ce que le sol soit impeccable. Ayoola me tournait autour, en dansant d’un pied sur l’autre. Je ne faisais aucun cas de son impatience. Cela prend beaucoup plus de temps de se débarrasser d’un corps que de se débarrasser d’une âme, surtout quand on souhaite ne laisser aucune preuve du meurtre. Mais mon regard était sans cesse aimanté par le corps avachi par terre, contre le mur. Tant qu’il resterait là, impossible pour moi de parachever le travail.
Elle l’a tué du premier coup, en plongeant la lame droit dans le cœur. Mais, par précaution, elle l’a poignardé encore à deux reprises. Il s’est affaissé, il a glissé à terre, et elle n’a plus entendu que sa propre respiration.
Un peu de sang a imbibé le revêtement du coffre. Ayoola propose de le nettoyer, par culpabilité, mais je lui prends des mains ma mixture maison, une cuillerée d’ammoniaque pour deux mesures d’eau, et j’en verse sur la tâche. J’ignore si la police de Lagos dispose de la technologie nécessaire pour passer une scène de crime au peigne fin, mais je suis sûre d’une chose : Ayoola n’aurait jamais pu la nettoyer aussi efficacement que moi.
Je me relève et je rince les gants dans le lavabo, mais je ne les retire pas. Ayoola continue à me regarder par miroir interposé.
« Il faut faire disparaître le corps, lui dis-je.
— Tu es en colère contre moi ? »
Une personne normale le serait sans doute, mais tout ce que je ressens, pour l’heure, c’est un besoin pressant de me débarrasser du corps. Sitôt que je suis arrivée, nous l’avons transporté dans le coffre de ma voiture ; je voulais pouvoir récurer et passer la serpillière sans devoir affronter son regard froid et fixe.
« Va chercher ton sac. »
Nous retournons à la voiture, et il n’a pas bougé du coffre, il nous a sagement attendues.
Ayoola est perchée sur les toilettes, genoux remontés sous le menton, bras repliés autour des jambes. Le sang sur sa robe a séché et il ne risque plus de tomber sur le carrelage blanc qui brille de nouveau. Elle a enroulé ses dreadlocks en couronne, de sorte qu’elles ne balaient plus le sol. Elle s’obstine à me dévisager de ses grands yeux marron clair ; elle a peur que je sois en colère, peur du moment où je vais me relever pour lui passer un savon. Je ne suis pas en colère.
S’il me faut absolument être quelque chose, ce serait surtout fatiguée.
Le plus ardu aura été de venir à bout du sang qui s’était infiltré entre le bac de douche et le joint en silicone. C’est un détail qu’on peut facilement négliger.
La plupart des gens utilisent la javel sans discernement ; ils présupposent que c’est un produit à tout faire, ils ne prennent jamais le temps de lire la liste des composants au dos du flacon, ni de revenir inspecter le résultat. L’eau de Javel désinfectera, mais pour éliminer les résidus, ce n’est pas génial ; je ne m’en sers qu’après avoir récuré la salle de bains de toutes traces de vie, et de mort.
Je parie que vous ne le saviez pas : l’eau de Javel masque l’odeur du sang.
Ayoola m’appelle et prononce ces mots que j’avais espéré ne jamais plus entendre : Korede, je l’ai tué.