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Critique de Little_stranger


C'est un livre terrible, vibrant de désespoir et de calme, d'incompréhension et d'espoir.
La première scène est celle d'une mère, Sylvia, auprès de sa fille, Colombe, inanimée. A côté d'elle, son fils, Jacob, dans le transat qui pleure, les filles d'un premier mariage de son conjoint, Antoine, Adèle et Rose qui sont figées et Antoine qui arrive ...
Nous basculons ensuite lors de l'anniversaire des 20 ans de Colombe, Colombe qui va entrer dans la Police. Sylvia a tout organisé pour fêter dignement ces 20 ans dans la jolie maison que le couple qu'elle forme avec Antoine ont fini par acheter. Tout est prêt : toute la famille, les amis sont là.
Sylvia se souvient de sa vie avant Antoine, lorsqu'elle était thésarde en anglais et qu'elle l'enseignait en faculté à Metz. C'est en lui donnant des cours d'anglais à ce jeune ingénieur, que Sylvia va tomber amoureuse de lui ou peut être combler un vide dans une vie, assez terne mais qui lui convenait. Antoine vient mettre de la couleur avec ses filles d'un précédent mariage, ses amis tous en couple, vus lors de longs week-ends, certains parents. Un cadre sympathique, des parents qu'on fantasme parce qu'on ne les voit que 3/4 jours et finalement, un désir d'enfant qui naît chez Sylvia, nourri par la machine à fantasme que sont les blogs maternels.
Sylvia donne tout le long du roman l'impression d'être une femme seule, peut être même simplement un individu seul. Elle n'a pour image maternelle que sa mère, dépressive, grosse drama queen, qui vit dans une zone pavillonnaire, dont les maisons sont fissurées par le sol instable. du couple parental, il ne reste plus que maman puisque papa a quitté le domicile, pour devenir "écrivain" et décéder d'un AVC aux 16 ans de Sylvia. Sylvia est devenue une enfant sage puis une femme sage pour ne pas "gêner" sa mère, qui n'arrivait pas à faire face à la séparation.
Lorsque Colombe naît, l'édifice fragile qui abrite Sylvia commence à se fissurer car Colombe est une petite fille en colère, qui semble vouer une haine solide à sa mère, qui l'épuise année après année. Colombe ne ressemble pas à son prénom : elle est une bombe atomique, une grenade à fragmentation. Colombe n'apporte pas la paix idyllique vendue sur les blogs et dans les magazines. Elle est toujours en train de bouger, de tenter le diable, de se mettre en danger. Antoine a une promotion/mutation à Guelbsheim : adieu la fin de thèse à Metz, Sylvia va s'enterrer dans un trou paumé et continuer à essayer d'être une mère, sans savoir ce que c'est et sans aide d'aucune part. Elle est seule : Antoine travaille tout le temps et ne se pose pas de question : ses deux filles sont des petites filles modèles donc Colombe va leur ressembler avec le temps.
Tandis que l'écart entre la réalité de la maternité et le rêve se creuse pour Sylvia, elle se retrouve enceinte : ce sera un petit garçon, Jacob, adorable bébé facile à vivre dont Colombe tombera "en amour". Jacob qui va rétablir un peu la balance affective de Sylvia, mise à mal avec Colombe. Antoine est de moins en moins présent car il faut une maison plus grande, plus belle, plus conforme au rêve pour s'en approcher et donc des travaux, une fois la maison trouvée. Mais le rêve va se défaire lorsque l'accident arrive et pour expier, en attendant le diagnostic des médecins, Sylvia décide qu'elle supportera tout de Colombe plutôt que de la perdre.
Une très belle et sobre couverture : une fissure qui peut laisser passer la lumière, mais qui fait aussi vaciller la structure. Divisé en deux parties, ce roman se dévore et je me suis reconnue plus d'une fois dans le portrait de Sylvia, d'autant plus que j'ai eu une fille très dynamique et un fils, très calme. J'ai compris ses colères, ses peurs, sa volonté de vouloir être une bonne mère. J'ai bien sûr repensé au magistral "Il faut qu'on parle de Kevin" de Lionel Shriver et son regard acide sur la maternité. Il est troublant que l'auteur ait fait le choix d'une thésarde dont le sujet est « Écrire ou vivre ? La tentation d'un bonheur sans mots dans l'oeuvre de Virginia Woolf » et le prénom de Sylvia n'est peut être pas anodin : j'ai pensé à Sylvia Plath, écrivain, poète américaine, qui se suicida au gaz, en veillant à ce que ses enfants, Frieda et Nicholas, petits, ne soient pas intoxiqués, afin qu'ils puissent vivre avec leur père, Ted Hughes. Virginia Woolf qui ne fut jamais mère, Sylvia Plath, mère, deux femmes dévorées par la maladie mentale à une époque où les soins n'étaient pas aussi ajustés qu'aujourd'hui. La maternité comme une "folie" du corps, désir inexpliqué de se dupliquer, de vivre par delà la mort.
Un très beau roman qui me donne envie de lire les précédents textes de l'auteur.
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