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Critique de Renod


Renod
26 novembre 2014
« Au-delà du silence » est un roman de l'écrivain sud-africain André Brink publié en 2002. Figure de la lutte anti-apartheid, André Brink s'attache dans ce livre à mettre en lumière un pan de l'histoire de la colonisation de l'Afrique australe par l'Allemagne.

« Au-delà du silence » est le récit de la vie d'une jeune Allemande, Hanna X, personnage fictif que le narrateur exhume d'archives incomplètes, qui s'exile dans la colonie du Sud-ouest-Africain. Cette vie est un témoignage permettant à l'auteur de dresser un réquisitoire contre la brutalité coloniale qui a été exercée contre les populations civiles et contre les femmes.

Pour ma part, j'ignorais tout de la colonisation de l'Afrique par l'Allemagne, qui a débuté après la création de l'Empire, en 1871, et qui a pris fin après la Première Guerre mondiale. L'Allemagne s'est établie dans différents zones du continent, notamment en Afrique australe, en 1883, sur le territoire de l'actuelle Namibie. L'armée a réprimé avec la plus grande fermeté les soulèvements des populations locales. le massacre des Héréros, qui a débuté en 1904, peut être considéré comme le premier génocide XXème siècle.

Ce roman est composé de deux parties. Dans la première, Hanna est installée dans une institution dénommée Frauenstein, perdue au coeur du désert namibien, où sont reléguées les femmes dont personne ne veut. Elle vient d'assassiner un officier de l'armée qui tentait de violer une pensionnaire mineure. Ce geste est capital. Elle se sent libérée. La haine lui redonne la force de vivre ; elle a désormais un objectif : se venger. Elle trouve enfin le courage de regarder son visage mutilé dans un miroir.
Sa vie passée va lui revenir par une succession de flashbacks : son enfance et sa jeunesse à Brême, en Allemagne, dans un orphelinat, puis en qualité de domestique dans des familles bourgeoises ; la traversée en bateau pour atteindre l'Afrique, l'horreur vécue depuis son arrivée sur ce continent. Depuis sa naissance, elle est victime de la méchanceté de ses tuteurs et employeurs ; l'autorité toujours injuste s'impose à elle par des punitions cruelles. Elle est aussi victime du vice des hommes qui profitent de leur position pour abuser d'elle. Une professeure va lui transmettre sa passions pour la lecture et un désir de voyager pour voir d'autres horizons, seuls moyens pour elle de transfigurer son quotidien. Elle va saisir l'opportunité d'un départ pour la colonie africaine. Ces territoires nouvellement conquis sont peuplés de pionniers et de soldats, mais les femmes y sont trop peu nombreuses. Certaines choisissent de s'y installer. Mais le Reich y déporte aussi des indésirables, des femmes en marge, pauvres, déclassées et autres bannies. Sur place, elles sont réduites à l'état d'objet sexuel, livrées à la concupiscence et à la violence des colons. Hanna X refuse cette violence : elle décline le mari qui lui est imposé et tente de résister aux tentatives de viol lors d'un trajet en train. Par vengeance, des soldats la torturent affreusement, notamment en lui mutilant le visage et la langue. Trop faible lors du trajet en chariot qui suit, elle est laissée pour morte dans le désert. Elle est recueillie par une tribu qui la soigne et lui apprend des rudiments de survie. Les membres de la tribu conduisent Hanna à Frauenstein et se font massacrer par des soldats, la responsable de l'institut leur imputant la responsabilité des mutilations de la jeune femme. Les pensionnaires de Frauenstein ne sont que des rebuts de la colonie, trop vieilles, laides, difformes ; elles sont malgré tout violées par les garnisons de passage. C'est un officier d'une de ces unités qu'Hanna a assassiné.

Au début de la seconde partie, Hanna part dans le désert accompagnée de Katja, la jeune femme dont elle a pris la défense. Son objectif un peu flou est d'aller au-delà du silence, au-delà du désert et de revenir au port où elle a débarquée. Elles trouvent un jeune noir supplicié qu'elles sauvent d'une mort certaine, Kahapa, qui les rejoint dans leur périple. D'autres membres s'agrégeront à leur groupe qui sème la mort dans le désert, pour assurer sa propre survie. Ils s'attaquent avec succès à une unité de soldats puis à des fortins de l'armée allemande. Hanna ressemble à l'héroïne qui a tant marqué son enfance : Jeanne d'Arc ; elle est à la tête de sa petite armée, courageuse, victorieuse, en guerre contre la violence d'une armée qui s'en prend aux noirs et aux femmes, qui les chosifient et les maltraitent. de nombreux membres du groupe perdent la vie. Seules Hanna et Katja arrivent à Windhoek. Hanna parvient à obtenir un rendez-vous avec l'officier qui a ordonné son supplice. Elle l'humilie devant la foule mais, croisant le regard d'une petite fille, elle décide de ne pas l'exécuter. Elle a obtenu sa vengeance, sa haine n'a plus lieu d'être.

Orpheline, officiellement inexistante (toutes les archives allemandes la concernant ont disparu pendant la seconde guerre mondiale), déclarée morte par erreur lors de la traversée, bannie par l'Empire, Hanna X est une anonyme, une inconnue qui représente toutes les victimes de la colonisation de cette période. le silence, c'est celui du désert, celui de cette femme muette, de cette existence tout à la fois tragique et commune qui aurait dû être oubliée de tous. Par son épopée, grâce à sa vindicte, Hanna rend visible sa condition de femme, expose aux yeux de tous l'outrage accompli sur son corps et sur celui de toutes femmes envoyées dans le Sud-ouest-Africain. Les desseins d'Hanna et d'André Brink se confondent. L'auteur parvient à mettre en lumière cette période tragique de l'Histoire, ignorée par la plupart d'entre nous.
Hanna et son groupe mènent aussi une lutte d'émancipation contre le patriarcat et le colonialisme. Ils répondent à la violence de l'Empire par la violence. Leur résistance à cette oppression organisée leur permet d'exister, d'être visibles et audibles.

« Au-delà du silence » est un roman très dur. Certains passages sont magnifiquement écrits. André Brink parvient à condenser en une existence toute la cruauté d'une époque et la sortir ainsi du silence.Il est proche par son thème de deux romans célèbres "mille femmes blanches" de Jim Fergus et "Certaines n'avaient jamais vu la mer" de Julie Otsuka.
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