Citations sur La marche du cavalier (11)
Un écrivain sait que les mots trahissent. Comme l'écrit Hofmannsthal, l'amour vrai du langage passe par la défiance à l'égard du langage. Le véritable écrivain se méfie des gens et des mots.
Ces visites inutiles dans les librairies justifient à elles seules, à mes yeux, la tentative que je fais ici pour partager ma certitude: les livres les plus précieux, ceux dont la délicatesse freine l'accès, ceux de ces femmes que si peu d'autres femmes défendent, je ne sais pourquoi, ont besoin de notre énergie, ils font l'objet d'une incompréhension qui touche aujourd'hui la littérature entière, qui touche son essence et son objet.
Crier plus fort, exagérer davantage est le seul chemin de la parole du nouveau millénaire. On n'entend rien de ce qui articulé de manière naturelle ou légère, on ne sent rien qui ne soit brûlant ou glacé, torride ou horrible. Les viols ne méritent l'intérêt que s'ils sont perpétrés en série ou s'ils sont collectifs. Les killers sont sérial ou rien. Nous vivons dans un monde endormi et terrorisé par ses fantasmes. L'autisme social a triomphé.
Un texte est d'abord un tissage. C'est le même mot.
Qu'est ce que « la marche du cavalier » ? Un brusque écart sur l'un des côtés de l'échiquier. Une manière d'avancer puis de se retirer de la scène, de se regarder agir après avoir agi, d'inscrire le décalage entre la conscience de la narratrice, et la manière dont elle est perçue : la marche du cavalier traduit une sorte de dédoublement symptomatique de la condition féminine à l'époque de Jane Austen. Pourtant, elle est aussi une tournure réflexive tout à fait pionnière du roman moderne, qui exprime le désarroi de l'homme désarmé devant la complexité nouvelle du monde, la solitude des foules, la perte du sens.
Pour lutter contre la lourdeur des adultes et la bêtise convenue dans trop de domaines réservés à l'enfance, j'aime l'idée qui était aussi celle de Truman Capote, ou de Francis Scott Fitzgerald, d'Isaac Bashevis Singer ou de Raymond Carver, de ne pas faire le deuil de son enfance, de ne l'oublier jamais, et de ne pas regarder de haut nos enfants.
Elle (Eudora Welty) disait : « L’audace sérieuse vient de l’intérieur. » Elle soulignait combien elle avait eu une vie protégée et, comme Flannery O’Connor, considérait que celui qui a réussi à vivre au-delà de l’âge de douze ans a accumulé assez d’expérience pour écrire tout au long de sa vie.
Il faut être passé dix mille fois par le même chemin pour commencer à vraiment le voir, pour commencer à savoir véritablement où l'on met les pieds, où l'on pose ses mots, ses images, d'où naissent les rêves.
Elle (Rosetta Loy) dit : « Toutes les oeuvres d'art sont belles et parfaites et toutes sont en même temps hideuses et complètement ratées. Au moment où je commence un livre, il est plaisant, lumineux et en même temps, dès le début, une ombre affreuse le suit, une difformité écoeurante qui prend sa place, si bien que je ne le reconnais pas. Tout oeuvre d'art est à la fois idéalisation et perversion. Et le public a le pouvoir d'en faire définitivement un chef d'oeuvre ou une caricature. Quand le coeur des lecteurs est troublé, alors l'oeuvre d'art devient le chef d'oeuvre que je voyais au début de mon travail. Mais si le public refuse de la regarder, elle n'existe plus.
Cette aspiration à la légèreté, à la transparence, mais aussi à la précision, à l'exactitude, ce désir qui toujours fut le mien de rétablir en équilibre, de rendre justice à la beauté cachée, de dire ce qu'il ne faut pas, de rappeler ce qu'il y a d'enfance en chaque adulte, et de sagesse en chaque enfant, ou tout cela peut prendre sa source, son élan, son inspiration dans un seul jardin, dans une seule ville, dans un seul pâté de maison.