Citations sur Le Corps exquis (54)
Les réactions à son livre se partagèrent entre l'admiration et le rejet. Les louanges qu'on lui tressa étaient légèrement teintées de choc, comme si Lucas Ransom, après avoir initialement massé le cortex de son lecteur, lui flanquait soudain une manchette sur la nuque. Les éreintements étaient du même tonneau, en plus indigné toutefois, comme si leurs auteurs s'étaient sentis personnellement insultés par l'ouvrage. Luke était ravi par ces deux types de réactions. Il abhorrait la tiédeur.
(Chapitre 8, p. 149/150)
Vers quel substance devait-il se tourner ? Tran coulait dans ses veines tout comme le souvenir de la seringue, il était ancré dans sa peau aussi solidement que le manque. Rien ne pouvait apaiser la douleur sourde qui le taraudait quand il se revoyait au lit avec Tran, en train de baiser, de parler ou de le contempler comme le plus éperdu des amants. Difficile de visualiser les yeux de Tran. Luke se rappelait la façon dont ils captaient la lumière dorée de l’après-midi, la noirceur liquide de leurs pupilles, la texture de ses paupières quand il l’embrassait délicatement au coin de son œil parfait. Oh, oui, il savait bien se torturer à coups de souvenirs.
La réputation de stupidité des yankees était bien compréhensible. Mais j'en avais rencontré mon content alors que je travaillais à l'Office du tourisme, et ils ne m'avaient pas paru stupides du tout. On ne leur avait jamais appris à articuler, tout simplement. Soit ils étaient si intimidés par nos divers accents (qui leur paraissaient tous un peu snobs) qu'ils ne trouvaient rien à nous répliquer, soit ils s'entêtaient à dire la même chose de quatre ou cinq façon différentes. Ils sont trop enthousiastes, d'accord. Il est difficile d'avoir avec eux une conversation suivie, encore d'accord. Mais ils ne sont pas nécessairement stupides.
S'il continuait à se battre pour gagner un jour, une semaine, un mois de vie, il risquait de se retrouver trop malade pour partir dans la dignité. La mort qu'il aurait à affronter serait lente et dégradante. Il risquait de voir ses poumons le trahir, et il se noierait dans ses humeurs. Il risquait de devenir aveugle, et il ne verrait même pas venir la mort. Il risquait de perdre le contrôle de son corps, et il crèverait dans une flaque de merde (non sans avoir gribouillé une ou deux phrases scatologiques sur le mur).
Je m’appelle Andrew Compton. Entre 1977 et 1988, j’ai tué à Londres vingt-trois jeunes hommes et adolescents. J’avais dix-sept ans lorsque j’ai commencé, vingt-huit lorsque l’on m’a capturé. Durant mon séjour en prison, j’ai toujours su que je me remettrais à tuer des garçons si on me libérait. Mais je savais aussi qu’on ne me libérerait jamais.
Il arrive parfois qu’un homme se lasse du fardeau que lui impose le monde. Ses épaules se voûtent, son échine se plie, ses muscles tremblent de fatigue. Il commence à perdre tout espoir de délivrance. Et l’homme doit alors se décider, choisir entre jeter son fardeau ou le supporter jusqu’à ce que sa nuque se brise ainsi qu’une fragile brindille automnale.
Tel était mon état d’esprit à la fin de ma trente-troisième année. Bien que j’aie mérité, largement mérité, le sort que m’avait infligé le monde – sans parler des tourments encore plus cruels qui m’attendaient après la mort : la torture de mon squelette, le viol et le démembrement de mon âme immortelle –, le poids de mon fardeau m’était devenu insupportable.
Et j’ai compris que je n’étais pas obligé de le supporter. J’ai compris que j’avais le choix. Le Christ lui-même a dû d’autant plus souffrir du supplice de la croix – la saleté, la soif, les clous qui violaient la chair tendre de ses mains – qu’il savait parfaitement qu’il avait le choix. Et je ne suis pas le Christ, loin de là.
Les pieds et les mains, une fois plongés dans la cuvette pour être lavés de leur sang, finirent également dans des sachets en plastique, qu'il ferma avec autant de soin que s'il s'était agi de cadeaux de Noël.
Tu veux bien m'emmener chez toi ? demanda-t-il à Jay. Je voudrais être ton chien. Je ne mange pas beaucoup et je suis très affectueux.
Jay sirota son café, arqua un sourcil. Tu risquerais d'uriner ou de deféquer sur le parquet. Je serais alors obligé de te faire piquer.
-Je suis bien dressé, lui assura le garçon.
Il arrive parfois qu'un homme se lasse du fardeau que lui impose le monde. Ses épaules se voûtent, son échine se plie, ses muscles tremblent de fatigue. Il commence à perdre tout espoir de délivrance. Et l'homme doit alors se décider, choisir entre jeter son fardeau ou le supporter jusqu'à ce que sa nuque se brise ainsi qu'une fragile brindille automnale.
L'Angleterre est un pays qui ne se refuse aucune résonance, aucune couleur dans ses noms de lieux, quelques austères qu'ils puissent être en réalité.