"C'était sans doute parce qu'il était nerveux, et parce qu'il avait peur, mais pas particulièrement de moi. Plutôt peur de la vie. La vie qui pouvait lui sauter à la figure et le mordre à tout instant."
"C'est comme ça qu'elle a démarré, cette liste de la haine, aujourd'hui redoutée. Au début, c'était pour rire. Une façon d'évacuer ma frustration. Sauf que c'est devenu autre chose, qui m'a échappé."
"Mais plus j'avançais plus je me sentais puissante, bousculant tout le monde devant moi. Certains glissaient dans le sang et s'écroulaient en claquant contre le carrelage. J'accélérais, j'accélérais, jusqu'au moment où je me suis mise à courir. Pousser. Courir. Haletant avec une espèce de respiration rauque."
"D'une certaine façon il avait raison : à un moment ou à un autre, chacun était gagnant. Mais ce qu'il n'avait pas compris, c'est que l'inverse était aussi vrai : à un moment ou à un autre, chacun était perdant. L'un et l'autre étaient forcément liés."
Frankie m'a jeté un regard surpris, comme s'il avait oublié que j'étais dans la chambre à côté de lui.
-Valérie...qu'est-ce que...qu'est-ce qui t'a pris?
Il avait la voix éraillée.
-Est-ce que Nick est en prison?
Il m'a fait non de la tête.
-Il s'en est sorti?
Encore non.
Il n'y avait qu'une alternative.
-Ils l'ont fusillé.
De ma part, c'était plus une affirmation qu'une question? si bien que j'ai été surprise de voir mon frère me faire encore non de la tête. Avant de lâcher:
-Il s'est flingué. Il est mort.
La liste était mon idée. Mon invention. C’est moi qui l’ai commencée et c’est moi qui l’ai poursuivie. Elle est à l’origine de l’amitié entre Nick et moi ; c’est elle qui nous soudait. Grâce à elle, ni lui ni moi, on ne se sentait plus jamais seul.
Et toi, tu me pardonneras, un jour?
Il s'est levé en se dirigeant vers la porte. Il ne s'est pas retourné. Il a saisi la poignée en me répondant:
- Non. Peut-être que c'est pas bien de la part d'un père, mais je ne suis pas sûr que je pourrai. Peu importe les conclusions de la police, tu as ta part de responsabilité, Valérie. C'est toi qui a noté les noms de tous les gens que tu haïssais. Y compris le mien. Tu as une vie sympa. Tu n'as peut-être pas appuyé sur la gâchette mais tu as contribué à la tragédie.
S'il est temps de souffrir, il est toujours temps de guérir.
Oui, j'avais transformé maman. J'avais transformé son rôle en tant que parent. Son objectif dans la vie n'était plus aussi évident et défini que le jour où j'étais née. Son rôle n'était plus de me protéger contre le reste du monde. C'était de protéger le reste du monde contre moi.
C'était trop injuste.
Le lycée a eu du mal à savoir si j'étais plutôt du côté des bons ou des méchants. Je pourrais difficilement leur en vouloir. Je ne le savais plus très bien moi-même. Etais-je le mauvais génie qui avait mis en branle le plan pour éliminer la moitié de son lycée, ou l'héroïne qui s'était sacrifiée pour mettre fin à la tuerie ? Il y a des jours où j'avais l'impression d'être les deux. D'autres, ni l'un ni l'autre. C'est tellement compliqué.