Hunter pressent ce qui va se passer : la dynamite qui bascule dans l’eau, la charge étanche qui s’enfonce en sifflant vers le fond. La détonation étouffée, suivie d’un geyser blanc. Les cadavres qui refluent très lentement vers la surface, comme autant d’âmes englouties. Le fleuve boursouflé par les dizaines de ventres blancs de ces géants aux yeux ronds. Stupéfiés. Tout un peuple rappelé à Dieu, remonté de la nuit. Et au milieu d’eux, le grand mythe du fleuve : un monstre noir recroquevillé sur lui-même comme un organe malade. Inerte désormais. Une créature qui était devenue une légende à force de rumeurs et d’anecdotes éculées. Avant d’être réduite à ça. Voilà ce que prévoit Hunter. Mais il se trompe sur toute la ligne.
Le fleuve, lui, a toujours nourri les hommes. Des gens vivent sur ses rives depuis la nuit des temps. Altamaha lui-même était le roi du fleuve, et bien avant lui il y avait des tribus qui chassaient le cerf ou l’alligator avec des flèches aux pointes taillées dans des dents de poissons.