Avec mon tailleur, mes escarpins et mon maquillage smoky, j'avais l'air d'une chanteuse dépêchée par le Théâtre aux armées. Je me sentais déplacée. Je n'avais pas besoin de tourner la tête pour savoir que les regards masculins me radiographiaient, du soutien-gorge à l'élastique de la culotte. Si on avait branché un détecteur de testostérone, il aurait explosé.
- Je sais que vous me prenez pour un affabulateur, a-t-il repris. Il fallait donc que je vous fasse toucher du doigt la réalité de la menace. Regardez bien ! La cuisse... le flanc ... la poitrine... Les trois blessures encaissées par le colonel au cours de la bataille. Elles m'ont été infligées en rêve. La douleur m'a réveillé. Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais couché sur mon lit, au milieu des draps imprégnés de sang. Touchez-les, bordel ! Je veux que vous les touchiez !
Il me faisait peur. J'ai obéi. C'était bien du tissu cicatriciel. Mon index a même détecté les trous laissés par les points de suture.
- Je suis confronté à une malédiction familiale, a-t-il repris, plus calme. Je dois l'affronter sans détourner les yeux. Ne pas prendre exemple sur mon père. Il est mort la tête tranchée, savez-vous ? Il roulait en décapotable, un câble tendu en travers de la route lui a sectionné le cou. Après l'accident, un petit échotier satirique local a cru malin de faire un bon mot en précisant que mon père ne conduisait pas une décapotable comme on le prétendait, mais une "décapitable". J'avais quatorze ans. Un soir, je suis allé attendre le scribouillard à la sortie du bar où il avait ses habitudes. Je portais une cagoule du Camélia Blanc 1 et une batte de base-ball. Je lui ai broyé les rotules. Il a fini ses jours en fauteuil roulant.
- Vous pensez réellement que votre père a été victime de la colère du colonel ? ai-je demandé.
- Bien sûr, j'ai assisté à son calvaire au cours des derniers mois de sa vie. Les cauchemars, le rituel des trois blessures, les cris des domestiques, le médecin qu'on appelle en pleine nuit et à qui on fait jurer le secret... A l’époque, on a essayé de me tenir à l'écart mais j'avais déjà lu le journal de guerre de Trueblue, l'ordonnance du colonel, je savais à quoi m'en tenir. Le problème de mon paternel, c'est qu'il refusait d'admettre l'existence d'un monde occulte. Il se voulait matérialiste et athée, avec férocité. Jusqu'au bout, il a nié l'évidence, même lorsqu'il se réveillait, la cuisse si profondément entaillée qu'on lui voyait l'os. Il n'osait plus dormir. Il se gavait de café noir, très fort. Ce truc ignoble que boivent les Français et les Cubains. Le jour où il est mort, il se rendait à Richmond, il a senti venir le coup de pompe alors qu'il roulait. C'est du moins ainsi que je vois la chose... Il s'est garé sur le bas-côté pour éviter l'accident. Là, le cauchemar l'a rattrapé. Il s'est endormi, il a rêvé des dernières minutes du colonel.... et sa tête a roulé sur le tableau de bord. Cette histoire de câble électrique tombé en travers de la route a été inventée par les autorités du comté qui ne savaient comment résoudre l'affaire. De toute manière, le gouverneur détestait mon père. Il a voulu éviter de faire de lui un martyr, la victime d'un attentat politique. Un accident stupide, ça vous déconsidère."
1. Nom originel du Ku Klux Klan
N’étant pas écrivain, j’ai raconté l’aventure qui suit avec mes propres mots, selon l’expression en usage dans les tribunaux. De culture franco-américaine, j’ai tendance à user fréquemment de termes anglo-saxons. Je souhaite qu’il ne m’en soit pas tenu rigueur, c’est ainsi que je m’exprime. Je n’ai pas cherché à faire œuvre littéraire. Ceci est un témoignage, pas une fiction. Il importe avant tout, pour moi, que les faits que je vais exposer ne tombent pas dans l’oubli.
p.111
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le parfum des fleurs aurait flanqué la migraine à un cactus.
p.94
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les serviteurs ont apporté des boissons forte, des trucs virils qui vous dissolvent une prothèse dentaire en 3 secondes
p.68
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l'armée de Lee souffrait d'une pénurie générale de matière première... ...comme on manquait de métal pour fondre des balles, on envoyait des gars les récupérer sur les morts. ...
Le blocus empêchait le ravitaillement en salpêtre, à partir duquel on fabrique la poudre noire. Le président Jefferson Davis a dû promulguer une ordonnance obligeant les maîtresses de maison à thésauriser le contenu des pots de chambre familiaux.
Des contrôleurs assermentés passaient les ramasser. Des excréments, on tirait du nitre et, avec le nitre, on fabriquait de la poudre.
Ainsi, chaque fois que les Confédérés chiaient, ils contribuaient à l'effort de guerre.
p.54
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J'ai souvent pensé qu'il était difficile de trouver de l'intérêt à un homme au-delà de deux semaines.