Citations sur Quartier rouge (30)
Arrivés en groupe, ils jouent les importants ; ils ont bouclé tout le périmètre, et naturellement personne n’a le droit d’entrer. Je me suis pris un savon parce que je piétine leurs plates-bandes, mais je m’en fous, il faut que je voie le corps si je dois m’occuper de l’affaire.
La police scientifique est en plein travail. Je trouve ces gars en combinaison blanche un peu bizarres. À n’importe quelle heure du jour et de la nuit, ils analysent le mal sous toutes ses coutures avec la plus grande concentration. Leurs gestes sont précis, calibrés, mécaniques. Je me demande comment, devant une femme morte, on peut s’intéresser à des banalités comme des cheveux, des fibres de laine ou des mégots sans devenir fou. Ils ressemblent à des laboratoires vivants, avec une éprouvette à la place du cœur. C’est jour de fête pour eux.
(...) une jeune fille morte est étendue à mes pieds. Ce sont deux marins philippins descendus à terre qui l’ont découverte. Les pauvres. La vue d’un cadavre a dû leur flanquer une belle frousse. La victime est allongée sur les marches d’un escalier qui mène au fleuve. Elle est nue, des marques de strangulation sont visibles sur son cou. Ses seins, visiblement refaits, n’ont pas un galbe parfait, mais ils ont de quoi impressionner. Je me demande la raison pour laquelle on l’a déposée ici. Pourquoi ne flotte-t-elle pas dans l’Elbe avec le visage sous l’eau comme tous les autres noyés qu’on retrouve d’ordinaire dans le fleuve ? Elle porte une perruque bon marché de couleur bleu clair.
Une tasse de café me ferait le plus grand bien.
Le ciel est si bas qu’il semble prêt à se poser sur les eaux sombres du fleuve. Un voile de brouillard s’élève de l’Elbe, épais et mauvais comme un corbeau. Je relève le col de mon manteau, mais ça ne change rien : l’humidité me transperce jusqu’aux os. J’ai mal à la tête, je n’ai pas assez dormi. Il est à peine sept heures et demie du matin, en ce début du mois de mars, et une jeune fille morte est étendue à mes pieds.
Je l’ai vue elle marchait dans la rue ses lèvres étaient rouges elle portait une robe qui n’était pas assez belle pour elle pour son visage pour son déhanchement elle était bien plus que ça elle était merveilleuse elle allait danser je l’ai regardée elle m’a souri viens avec moi ai-je dit et elle est venue elle s’est endormie puis nous avons parlé j’ai fait d’elle quelque chose elle était belle tellement belle si seulement il n’y avait pas tout ce sang
[...] J’avais l’intention de rester deux ou trois ans, puis d’aller vivre à Berlin. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Au bout de trois mois, je ne voulais plus quitter Hambourg. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas exactement pourquoi. Je ne connaissais personne ici, je n’avais que moi et ma mauvaise humeur. Et le port. Je crois qu’avec une ville, c’est comme pour le football : ce n’est pas toi qui choisis ton club, c’est ton club qui te choisit. Dans mon cas, c’est Sankt Pauli, le quartier et son club. Je lui en suis reconnaissante. Le port me le rappelle chaque fois que je suis sur le point de l’oublier.
[...] – Comment était le match ? demande Klatsche. – Super. – Sankt Pauli a gagné ? – Oui. C’était serré et pas mérité, mais c’est une belle victoire quand même. On a fait la nouba dans le stade. – Espèce de hooligan, ricane Klatsche. Pour lui, les matchs de troisième division n’ont aucun intérêt.
- Je parierais plutôt pour un détraqué. Qui vole le scalp d’une jeune femme ?
- Un coiffeur au chômage ?
- Abruti !
Cette odeur de désinfectant qui plane toujours dans les catacombes de l’hôpital me rend nerveuse. Douceâtre, elle me fait penser à une mauvaise liqueur de citron mélangée à du Domestos. Une fois qu’on l’a respirée, on ne s’en débarrasse plus de la journée.
"Chaque fois que je le vois [le port de Hambourg] apparaître brusquement au milieu de l'obscurité, ça me coupe le souffle. La nuit, le port est un trésor, mon trésor. Un coffre gigantesque rempli de joyaux étincelants, que j'ai trouvé il y a dix ans quand je suis arrivée à Hambourg. Découvrir un tel trésor a été une grande surprise car, à l'époque, je ne suis venue ici que pour le boulot." (p.48)