Citations sur Dernière saison dans les Rocheuses (45)
Au cours des jours suivants, je notai que Ferris interrogeait les vétérans sur les us et coutumes des Indiens et sur l’emplacement de leurs villages. Très vite, ceux-ci se moquèrent de lui en l’appelant « l’Indien blanc ». Quant à moi, ils me surnommaient « le Professeur », parce que j’avais toujours de l’encre, une plume et un carnet à portée de main. Je détestais être associé à ce poseur de Ferris et, désireux de combattre mon apparence de collégien pusillanime et les doutes qui m’assaillaient, je m’arrangeai pour être en toute occasion le premier volontaire à partir en expédition autour du fort, le premier à placer des pièges dans les rivières avoisinantes. Au début de décembre, je décidai d’aller installer mes trappes vers les collines, au nord du fort. Smith avait formellement défendu aux plus jeunes d’entre nous de s’aventurer là-haut. Les bois, disait-il, grouillaient de Blackfoot, ce qui ne faisait qu’attiser notre curiosité.
Nos corps finirent par ressembler à des pantins au cuir tanné et noueux. La tête de la perche laissait sous la clavicule un creux permanent et décoloré.
Ses commentaires déplaisants le firent sérieusement baisser dans mon estime. Ferris s’opposa à l’indifférence, réelle ou simulée, de Blanchard, en recouvrant la dépouille d’une peau de daim trouvée à l’intérieur d’un tipi. Ferris avait dix-neuf ans, une silhouette d’adolescent, gracile, féminine, presque une poupée. Il entreprit d’empiler des pierres plates sur les bords de la peau. Comme si les loups n’allaient pas les retourner dès que nous aurions déguerpi ! Je faillis aller l’aider, mais sa façon presque dévote de replier les coins du linceul me fit penser qu’en son for intérieur il se plaçait au-dessus de nous. Son père était médecin et, contrairement à nous, Ferris avait dû payer une somme forfaitaire pour être embauché, Ashley considérant sans doute que ce blanc-bec, incapable de tenir la cadence, renoncerait très vite à l’expédition. Non, pas question de m’acoquiner avec un gosse de riche gâté et toujours content de lui.
— Je l’avais cravaché pour lui éviter de passer sous les sabots de mon cheval, et cet abruti m’a agoni d’injures alors que je lui avais sauvé la vie, expliqua-t-il. Ça m’a mis très en colère et j’avoue avoir tapé un peu fort. Rassure-toi, il n’avait rien de cassé ! Une heure plus tard, il dansait la gigue sur le pont d’un quillard, en agitant la bouteille que je lui avais fait porter. Il m’a même remercié de l’avoir diverti !
- C'est vrai, je n'ai pas toujours été honnête. Maintenant, je suis différent. Vous le savez.
- A votre place, je ne serais pas aussi définitif. Reconnaître s'être mal comporté ne signifie pas nécessairement avoir changé.
Une brigade de trappeurs représentait pour nous le commerce, le patriotisme, la grande aventure vers l’Ouest, vers l’inconnu, et autres niaiseries du même genre.
Un oiseau planait dans le ciel blanc, qui me parut soudain très haut, comme si le monde, grandiose et solennel, s’était dilaté autour de moi. La Prairie me donnait la sensation d’être à l’orée d’un mystère infini, déconcertant, et, par-dessus tout, m’écrasant d’une solitude absolue.
Se lancer dans la traite des fourrures était une entreprise généralement vouée à l’échec, tout le monde le savait. Mais c’était aussi l’excitation de l’aventure, l’attrait de l’inconnu et, peut-être, la possibilité de faire fortune. Cela me suffisait.
C’était la première fois que je voyais des Indiens de près. Ils n’auraient pas paru plus étranges s’ils avaient débarqué de la Lune.
J’avais vingt-deux ans, et je travaillais au traitement des peaux depuis l’année précédente. Je projetais de rejoindre une brigade de trappeurs dès que mes économies me permettraient d’acheter mon fourniment. J’avais débarqué à Saint Louis, brûlant de participer à une expédition vers l’Ouest.