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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Think you, if Laura had been Petrarch's wife,
he would have written sonnets all his life ?"
(chant III)

André Maurois a écrit un beau livre, nommé "Don Juan, ou la vie de Byron". Est-ce que Byron est vraiment le Don Juan de ce poème ?
Vu sa réputation sulfureuse, on pourrait le croire.
Dans le film "Gothic" de Ken Russell, Byron est représenté par un Gabriel Byrne ténébreux, diabolique et boiteux à souhait - un véritable de Peyrac ! - et rien que le son de sa démarche claudicante fait trembler le pauvre Polidori qui l'adore et le déteste à la fois. Il a dû faire la même impression à beaucoup d'autres ! Dans le même film, on voit aussi un guide suisse qui montre aux touristes la villa Diodati au bord du lac Léman, en précisant que c'est là où loge le célèbre lord. Les dames présentes trépignent d'excitation en poussant des petits cris indignés. Oh dear, how scandalous !
Voilà Byron. Poète romantique, esprit brillant de son époque, cynique, misogyne, libertin et narcissique, mais aussi un homme épris de la beauté, de la liberté et des grands idéaux. Beau visage et pied bot. Faiseur de rimes qui a traversé l'Hellespont à la nage, ce qu'il n'oublie pas de rappeler dans ce long poème, qui est davantage un roman en vers.

"Don Juan" est souvent considéré comme son oeuvre la plus aboutie, et le héros principal est finalement plus proche de Byron que Manfred ou Childe Harold, pourtant des prototypes d'un "héros byronien" littéraire, car on y trouve aussi beaucoup d'autodérision.
Byron a peut-être choisi ce thème pour construire son poème sur une légende généralement connue, peut-être était-il influencé par Shelley, un grand amateur de l'opéra de Mozart... qui sait ?
Quoi qu'il en soit, le légendaire amant héroïque n'a pas grand-chose à voir avec le "Donny Johnny" (comme il l'appelait devant ses amis) de Byron. On ne sait rien du passé du Juan légendaire; il arrive déjà en tant que Don Juan le séducteur, tandis que celui de Byron le devient un peu malgré lui.
On assiste à sa naissance à Séville, et à l'éducation superficielle de sa mère, doña Inès, une femme "savante" qui s'exprime en formules mathématiques (tout comme la première femme de Byron, Anabella Milbanke, ce qui n'est certainement pas un hasard). A l'âge de seize ans, Juan est un jeune homme au charme fou, naïf et candide, et il commence à attirer dangereusement la gent féminine. D'abord l'amie mariée de sa mère, ce qui va déclencher une vague d'incroyables péripéties à travers 16 chants et une bonne dizaine de milliers de vers qui forment le récit.
Exil à Cadix, naufrage, repère de pirates, esclavage en Turquie, cour impériale en Russie, mission en Angleterre... malheureusement, Byron est lui-même mort (à 36 ans) avant d'avoir le temps de faire guillotiner son héros en France.

Son Don Juan est un idéaliste au grand coeur, plein d'élan vital, que le destin pousse d'une femme à l'autre même si ses intentions sont peut-être sincères. Les femmes le désirent, et il se laisse balloter par le courant de ses aventures; la fin de chaque chant est en général remplie de cadavres et seul Juan passe victorieusement dans le suivant. C'est une sorte de narration picaresque (un peu comme chez Sterne ou Fielding), burlesque, intelligente et très politiquement incorrecte.
Il était doué, ce joufflu britannique, très doué ! Il n'a pas peur de scènes qui pourraient être qualifiées d'obscènes ou d'impudiques, si elles n'étaient pas si terriblement drôles ! La préface était immédiatement censurée par son éditeur Murray, car Byron y attaque (avec beaucoup d'esprit, mais sans ménagement) tous les poètes contemporains, l'aristocratie londonienne et même leurs animaux domestiques. L'histoire même est pleine de digressions et d'observations qui vont dans le même sens, mais Byron excelle tout autant dans les passages lyriques.

Le tout est écrit en pentamètre iambique, particulièrement adapté à la langue anglaise. Ce qui fait qu'une bonne traduction dans une autre langue est presque impossible. Les syllabes atones alternent avec les syllabes accentuées - ta dam, ta dam - comme les battements de coeur. C'est très agréable à lire, et certainement encore plus à réciter à haute voix. Mais voilà où je me suis perdue, car au bout de quelques centaines de strophes, on se laisse tellement porter par le beau rythme de cette "ottava rima" qu'on perd parfois le sens des mots. C'est beau, inventif et amusant, mais c'est aussi sacrément long !

Faut-il se lancer dans "Don Juan" de Byron ? Pour finir, un peu de boniment de foire, pour essayer de vous vendre cet ouvrage de 1819, qui a seulement deux critiques à son actif : Trois dans le même lit ! Amour ! Trahison ! Lettres passionnées ! Escrimeur nu ! Syphilis en pleine fleur ! Consommation de sang ! Cannibalisme ! Vers iambique ! Sex on the beach ! Vous trouverez tout cela, et bien plus, rien que dans les deux premiers chants de "Don Juan". Je vous laisse imaginer ce que vous réservent les autres... ! 4,8/5

"Let us have wine and women, mirth and laugter,
sermons and soda water the day after."
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