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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Comment exorciser un passé que l'on n'a pas vécu ? Comment parler d'une dictature militaire quand on ne l'a connu que par des bribes de conversation, « des récits embrouillés, des narrations invraisemblables, des digressions interminables » ? Comment appréhender 17 années de régime (de 1973 à 1990) dans le Chili de Pinochet, quand la génération à laquelle on appartient n'a perçu de la dictature que ce qu'elle en a entendu ?

Felipe Becerra Calderòn est un jeune écrivain chilien de 27 ans. Il a cinq ans lorsque le Chili retrouve sa démocratie en 1990. Trop jeune pour se souvenir des tortures, des châtiments infligés, des camps d'emprisonnement, des corps sans sépultures, des immenses charniers dissimulés dans les terres arides du nord du Chili.
Mais si sa génération n'a pas « expérimenté » les horreurs de la répression militaire, la force des récits a laissé son empreinte dans les coeurs des jeunes gens nés avec la démocratie, des impressions recueillies par l'écoute, par l'audition, par tout ce qui s'est fait entendre comme témoignages, confidences, secrets, déclarations et aveux divulgués par les victimes ou par les bourreaux. Ces jeunes gens, comme Felipe Becerra Calderòn, sont « entrés dans l'Histoire par ouïe-dire ».

Avec « Chiens Féraux », l'auteur s'est laissé entraîner par toutes ces voix déformées du passé lui narrant l'histoire récente de son pays, il s'est laissé porter par « des rythmes étranges, des frémissements, des bruissements». Au lieu de donner la description effective des horreurs du régime – les répressions, les persécutions, la barbarie – il en a « désamorcé la représentation ». Son évocation est d'autant plus puissante qu'elle se fait de façon indirecte, en prenant la forme troublée d'un mirage gorgé de voix effrayantes.

Nous sommes en 1980 dans le Nord du Chili, un désert de roches et de poussière sous un soleil impitoyable.
Dans ce lieu de déréliction, le brigadier Carlos Molina a été affecté à la garde d'une réserve, vide et abandonnée. Si sa mission est de consigner jour après jour les activités de la réserve, il ne peut que se rendre compte qu'ici, au seuil de nulle part, rien ne se passe jamais. Aussi, pour pallier à l'isolement et à l'ennui journaliers, s'attelle-t-il à décrire sa solitude, ses doutes, ses interrogations sur une forme étrange qui se déploie à l'horizon et semble se diriger vers lui, ainsi que ses inquiétudes quant à la santé mentale de Rociò, sa femme, une ancienne étudiante en médecine traumatisée par un événement passé.
Car l'épouvante règne à l'intérieur de Rocìo. Son esprit est contaminé par des rêves étranges, des visions terrifiantes, par des voix qu'elle a procréées et dont elle est la mère, des voix ténues mais démoniaques qui la harcèlent, la rongent, la grignotent comme de petits diables souffreteux et voraces.
Ces petites voix venues du plus loin de sa conscience, qui chuintent et qui chuchotent, qui pleurnichent, qui geignent ,qui mordillent, lacèrent, déchiquettent de leurs petites dents acérés d'enfants imaginaires ; ces petites voix d'enfants qui égratignent la conscience jusqu'à l'obsession, jusqu'au délire, jusqu'à la folie ; ces petites voix tourmentées sont celles de la culpabilité, de la résignation, de la soumission, des crimes des oppresseurs, des bourreaux du Chili, ce sont celles des corps suppliciés, torturés, avilis, celles des charniers, des cadavres laissés sans sépulture aux abords du désert, celles de tout un peuple martyrisé par des années d'oppression.
Dans ce désert de poussière où la solitude est aussi implacable que le soleil de plomb, dans cette étendue de roches noires et de sable gris, dans l'incandescence métallique des collines de sel, dans cette aridité qui joue avec les visions et les nerfs, Carlos et Rociò se laissent peu à peu ensevelir par leurs ombres intérieures, taraudés par des questions obsédantes : que sont ces chiens redevenus sauvages, ces chiens féraux rôdant la nuit aux abords du village? Et quelle est cette tache brune à l'horizon qui s'amplifie et se transforme, chaque jour se faisant plus menaçante ?

Le lecteur qui entrera dans ce roman étrange et hypnotique, y pénètrera comme soumis à l'effet d'un puissant narcotique.
Le jeu des couleurs, criardes ou sombres, chatoyantes ou mates ; les formes mouvantes, changeantes et floues, qui se transforment, s'allongent et se rétrécissent ; le bourdonnement des voix enfantines, chuchotis malfaisants et continus, donnent un côté psychédélique à ce roman insolite, où la polyphonie des voix se mêle à celle d'une écriture offrant plusieurs formes narratives.
On baigne dans un onirisme à la poésie noire par lequel le jeune auteur chilien noie « l'histoire dans une vague d'hallucinations et fait affleurer une forme de salut dans la schizophrénie de la langue ».
Sorte de longue errance, le roman, récompensé par le Prix Roberto Bolaño lors de sa parution au Chili en 2006, devient « la divagation embrouillée d'un enfant un peu pervers, un chuchotement à peine audible sous un silence terrassant. Un gazouillis que quelqu'un croit entendre entre la poussière et le vent. »
« le roman est ce doute : en pleine nuit, un mirage de l'ouïe. »
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Felipe Calderón avait à peine cinq ans lorsque le Chili a renoué avec la démocratie. Il n'a connu la dictature de Pinochet que dans la voix étranglée de ses aînés. Une voix confuse et meurtrie. Il eut été plus simple de l'oublier, d'ignorer les fantômes de ce passé d'horreurs et de turpitudes. Il a choisi une voie contraire, celle d'un souvenir recomposé au milieu des corps décomposés. Il n'en ressort pas indemne. On dit parfois que les névroses et les souffrances sautent les générations, qu'elles expliquent les comportements étranges de ceux qui ont eu le malheur d'en hériter. Calderón, lui, les accueille et les démagnétise par le truchement de la littérature, sous hypnose et licence poétique. Il en ressort un récit halluciné et fantastique, fait d'enfants désirés, de reptiles, de momies, de brumes et de chiens semblables aux cerbères gardant l'entrée d'un enfer qu'il convient d'ignorer, pour ne pas perdre la raison. Roció, l'épouse du brigadier, n'y parviendra pas, prisonnière d'incessants cauchemars. Elle devient la naufragée volontaire de sa démence. Comme les chiens féraux, elle retourne à l'état sauvage, s'éloigne d'un monde devenu hostile, prête à mordre la main de ces hommes dits « civilisés », mais devenus bourreaux. Voici un extrait : « Ils avancèrent précautionneusement sur la route en terre pendant que, dehors, les chiens les regardaient avec un calme absolu, comme si rien n'avait plus d'importance à leurs yeux, comme s'ils revenaient d'une bataille improbable, où la victoire était l'égale de la défaite et la défaite toujours une solitude, un oubli, un abîme infini de silence ». Calderón n'épargne rien ni personne, fait aussi le procès d'une Église complice dans des pages terribles (chapitre XX) où le Christ devient un monstre mythologique. Un livre beau et difficile qui m'a tant rappelé le film « Valse avec Bachir » pour ses meutes de chiens errants et cette impossibilité à concevoir, à moins de tutoyer la folie, l'exécution du crime de masse.
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Chiens féraux (on peut écrire férals aussi) est la traduction au français de Bagual, le premier roman (primé) du chilien Felipe Becerra.
Les animaux féraux ce sont des animaux qui retournent à la vie sauvage.

C'est un roman polyphonique court, d'à peine 170 pages et assez dérangeant car il mêle une réalité bien concrète à des états oniriques et hallucinatoires.

Un jeune couple s'installe dans un bled paumé du désert chilien. Lui est militaire, lieutenant de Police et c'est son premier poste (il doit surveiller la frontière avec la Bolivie) et la jeune épousée a délaissé des études de Médecine en raison d'une certaine incompatibilité sensorielle.
Au milieu de rien (la pampa chilienne), le jeune couple va commencer à se désagréger : elle aura des hallucinations auditives et visuelles et lui, il s'embête tellement qu'il commence une sorte de journal où il note toutes ses journées pleines de vide; il ne tardera pas à avoir aussi des hallucinations.

Une lecture inquiétante, mystérieuse, une écriture réussie avec un style un peu différent, melange de colloquial-chilien et minimalisme.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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Roman très bien écrit. Dès le début, les personnages sont en place et tout de suite nous sentons comme une atmosphère tendue. Elle qui oscille entre folie et réalité, entendant des voix, et lui qui s'ennuie et se met à écrire.
La tension augmente au fur et à mesure que l'on tourne les pages; elle, sombrant de plus en plus et lui qui s'inquiète et se met à avoir des hallucinations.
Nous voici en pleine folie, schizophrénie.
L'écriture devient plus lourde, les chapitres s'allongent.
Et puis il y ce "nous": qui sont ils? et ces chiens que l'on croisent tout du long.
Le roman se termine sur un voyage sans retour dans les méandres de la folie.
Je ne suis pas forcément amatrice de ce type de roman, j'ai eu du mal à le finir. Pas sur, non plus d'avoir tout compris. Enfin bref, vous voulez vous retourner le cerveau et être à la limite du gouffre, je vous le conseille. Pour un premier roman, plutôt déconcertant ! si c'était l'effet recherché.
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