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Critique de Antyryia



Vous devez la choisir charmante, instruite, forte, sociable.
Si vous optez pour une femme faible et solitaire, vous n'aurez aucun mérite à la briser, et vous n'en retirerez par conséquent aucun plaisir.
"C'est tellement plus jouissif de faire tomber quelqu'un de cultivé, intelligent, sensible, altruiste."
Pendant les six premiers mois, faîtes preuve de la plus grande gentillesse envers elle. Soyez à l'écoute, soyez compréhensif, indulgent, et bien sûr aimant.
Soyez généreux, tendre et attentionné. Ne jurez que par le partage et le dialogue. Devenez l'homme idéal, celui qui saura se rendre indispensable.
Son bien-être et son équilibre seront alors entre vos mains, et dépendront bientôt entièrement de vous.
Une fois ce long travail d'emprise effectué, vous pourrez alors passer à la seconde étape : la détruire psychologiquement.
Je m'appelle Henry Moulin, et je suis un pervers narcissique.

Mon épouse Amandine et moi somme en couple depuis dix-huit ans. Nous avons trois petites filles de six, sept et huit ans.
Rien de tel que des enfants : Ils sont un premier outil de contrôle qui limite les choix de votre partenaire.
Qui pourrait penser que sous ma respectable façade de professeur adulé tant par ses élèves que par leurs parents se cache quelqu'un d'aussi manipulateur ?
Absolument personne. A peine ma femme, ce qui est probablement le plus amusant. Je prends tellement soin des apparences !
"Il a un besoin viscéral de maîtriser son image et de contrôler ceux qui l'entourent."
Comment faire pour broyer un être humain et se sentir grandi par son désespoir ? Se nourrir de toute l'énergie dont votre épouse se videra inexorablement ?
Je vais répondre succinctement à cette question qui vous brûle les lèvres et vous donner quelques petits conseils.
Mais attention, il s'agit d'un travail de longue haleine, saper son moral vous demandera un certain investissement et ne se fera pas du jour au lendemain.
Mais le jeu n'en vaut-il pas la chandelle ?

D'abord vous devez l'isoler. Insistez sur sa famille et ses amis qui n'ont aucun intérêt, jusqu'à ce que ce soit bien clair pour elle. Entre eux et vous, son choix sera vite fait vu à quel point elle est amoureuse.
Dans le même ordre d'idée, vous devez insister sur la pression qu'elle subit professionnellement. le travail sera souvent son dernier rempart social et la rabaisser à ce sujet, en lui démontrant à quel point elle n'est pas considérée, la fera douter d'elle-même un peu plus.
Tout en suggestion, vous allez la priver de tous ses repères sociaux et il ne restera plus que vous, l'ultime protection dont elle dépendra entièrement.

Cette dépendance doit également être financière. Surtout pas de compte-joint ! Et si comme moi vous gagnez plutôt bien votre vie, laissez là se débrouiller avec son maigre pécule pour tous les achats courants, les factures, la nourriture, les vêtements des enfants. Elle sera coincée. Jamais elle ne pourra économiser le moindre centime si l'idée absurde de vous quitter lui traversait un jour l'esprit. Et vous pourrez lui reprocher occasionnellement d'être incapable de tenir un budget, lui donnant quelques billets pour que vos enfants puissent s'habiller quand même en lui faisant bien comprendre à quel point votre générosité est exceptionnelle.
"Tu as un boulot où on t'exploite, t'as pas d'amis, pas d'argent, sans moi t'es rien."

A partir de là, votre toile est déjà bien tissée et votre compagne commence à ressembler à un insecte englué. Mais il faut enfoncer le clou et pour cela, idéalement, faîtes lui constamment des reproches contradictoires. Si vous rentrez tard et qu'elle vous a attendu pour dîner, haussez le ton en lui expliquant qu'il ne fallait pas patienter puisque vous mangiez ailleurs. Et si le lendemain elle soupe avec ses enfants sans même vous avoir attendu, alors à nouveau vous l'engueulez : Elle ne va plus rien y comprendre ! Elle va toujours craindre de mal faire et se persuader qu'elle est en tort. Quoiqu'elle fasse ça ne vous conviendra pas ! Et souvenez-vous également que votre meilleure arme en cas d'interrogations, c'est le silence.
"Il ne lui adresse la parole que pour lui asséner des reproches sans queue ni tête ou lui dire qu'elle fait tout mal."

Si elle exige des explications, taisez-vous pour lui montrer à quel point c'est elle qui ne comprend rien à rien. Changez d'humeur constamment, pas parce que vous êtes lunatique mais pour montrer que vous n'en pouvez plus de sa bêtise. Râlez quand elle a fait des dépenses inconsidérées, engueulez-la si elle n'a pas osé acheter une simple bouteille de ketchup, soyez exécrable si elle n'a pas su gérer son argent et que ce sont vos enfants qui doivent en souffrir. Et vous la regarderez se débattre avec votre sourire vicieux à toujours compter le moindre centime.
A toujours se remettre en question.
"Il est plus cyclothymique que jamais, la fréquence de ses sautes d'humeur augmente."

Ne couchez plus avec elle ! Il ne faudrait pas non plus qu'elle se croie attirante. Non, elle est invisible : vous ne la regardez pas, vous ne lui parlez pas, et si vous avez des pulsions à assouvir alors utilisez vos capacités de séduction qui n'ont plus à faire leurs preuves et prenez une maîtresse.

Un dernier conseil encore, ne la frappez pas. Sauf vraiment en toute dernière extrémité, si elle vous pousse à bout et que vous perdez le contrôle. Mais les marques de coups restent, et pourraient à terme causer des torts à l'image de marque que vous tentez de préserver. Prenez sur vous dans la mesure du possible même si elle vous énerve profondément, et faîtes toujours preuve de davantage de subtilité dans votre acharnement.
"Les mots sont beaucoup plus violents. Ils ne marquent pas la peau mais ils laissent des traces monstrueuses dans le coeur, pour l'estime de soi et, malheureusement, ils sont invisibles devant la justice."

Et si vous vous rendez compte que vous avez été trop loin, que vous n'avez plus autant d'emprise, alors il faut savoir lâcher un peu de lest.
Redevenez le mari parfait et prévenant qu'elle aimait tant au début de votre relation, n'hésitez pas à vous excuser si vous y avez été un peu fort et constatez qu'elle commence à moins vous faire confiance ou à prendre ses distances. Offrez lui des fleurs, invitez la au restaurant ! Elle pensera que vous pouvez encore changer et redevenir l'homme dont elle est tombée follement amoureuse. Tout vous sera pardonné et quelques jours plus tard vous pourrez recommencer à vous amuser avec votre proie.

Après tout, vous aussi on vous a abîmé quand vous étiez enfant, alors c'est bien votre tour d'affirmer votre force en poussant votre partenaire dans ses derniers retranchements, là où plus aucune solution n'est envisageable, là où elle se sentira écrasée, piégée, sans aucun moyen de s'en sortir puisqu'elle aura depuis longtemps perdu toute estime d'elle-même et donc toute velléité de rébellion.

* * *

Amandine a disparu.
A-t-elle fui, l'ai-je tué ou laissée pour morte ? A-t-elle simulé un suicide ?
Bien entendu, pour le chef de la police, Hervé Filipo, je fais figure de suspect idéal. Quelle objectivité, vu que c'est l'ex de ma femme et qu'il n'aspire sans doute qu'à la reconquérir !
Encore faut-il qu'elle soit toujours en vie.
Et il a mis son meilleur flic sur l'enquête, Yoann Clivel. Si son nom vous dit quelque chose, c'est probablement parce que ses précédentes enquêtes ont été fortement médiatisées : le testament des abeilles, le voile des apparences ou encore les racines du sang.
Vous pensez vous aussi que j'ai un lien avec son évaporation ou que celle-ci n'a au contraire aucun lien avec ce que je lui faisais subir au quotidien ?
En tout cas je me sens harcelé d'être considéré ainsi comme le meurtrier tout désigné. C'est un peu facile non ? Faut pas pousser mémé dans les orties non plus.
Si tout cela vous intéresse, si vous voulez connaître le fin mot de l'histoire, je vous invite à lire le nouveau roman de Natacha Calestrémé, Les blessures du silence.
Mais bon, je n'y joue qu'un rôle secondaire, présenté comme un type profondément antipathique, et il n'y en a que pour les points de vue d'Amandine quelques mois avant qu'elle ne quitte les écrans radar, ou pour ces satanés flics qui mènent leur soit-disant enquête.

* * *

- Euh, monsieur Henry Moulin ?
- Oui, quoi ?
- Vous êtes connecté sur mon compte Babelio, normalement c'est un espace personnel.
- Et alors, j'ai bien le droit de donner des conseils aux lecteurs et d'exprimer mon ressentiment !
- Si vous pouviez créer votre propre pseudo ça serait mieux quand même. Ca éviterait à mes amis et à tous les membres de croire que je suis devenu un dangereux sociopathe.
- Là je suis plutôt énervé alors c'est pas trop le moment de me chercher Anty.
- C'est moi qui ai reçu le livre lors d'une masse critique privilégiée, et donc normalement c'est à moi d'écrire ce que j'en ai pensé. Je le dois aux éditions Albin Michel qui ont eu la générosité de m'envoyer les épreuves non corrigées avant que ne paraisse le livre.
- Eh ben vas-y, si ça peut te faire plaisir ! Mais j'espère que tu ne vas pas encenser ce roman qui me dévoile ainsi sans mon masque quotidien.

* * *

Même si ça n'est pas pour les raisons invoquées par l'époux d'Amandine, je ne vais effectivement pas essayer de vous vendre Les blessures du silence comme étant l'incontournable thriller de ce mois.
Suite à ma lecture, mon avis est vraiment très mitigé.
A sa décharge, je l'ai lu après la bombe Toutes blessent, la dernière tue de Karine Giébel et forcément, après une telle claque, la majorité des livres m'aurait de toute façon parue bien fade.
Natacha Calestrémé dénonce donc l'emprise conjugale et la perversité narcissique pour que les victimes puissent réaliser qu'elles n'ont rien à se reprocher et qu'elles ne sont pas des bonnes à rien pour autant.

Elle en présente d'ailleurs très bien le fonctionnement : la perte progressive de repères, le manque de confiance en soi, la culpabilité, jusqu'à l'emprise totale dont il est extrêmement difficile de se défaire.
"Dénigrement, méchancetés, silences culpabilisants, isolement, messages contradictoires, colère, violences verbales, faute exclusive."
Mais cette description est beaucoup trop scolaire. A la façon d'un exposé, elle reste beaucoup trop dans la description, dans le déroulé des faits, dans le processus.
J'ai eu parfois l'impression de lire un cours - très instructif il est vrai - sur le harcèlement moral.
Et un autre sur les chiens renifleurs.
Ces dissertations ont beau être fort intéressantes, elles nous éloignent de ce qu'on attend d'un roman policier .
Avec cette façon très académique de raconter les faits, il est impossible de s'attacher à qui que ce soit. le compte-rendu est froid, impersonnel.
L'analyse se fait hélas au détriment des protagonistes. Leur psychologie est pourtant travaillée mais on ne s'y attache pas. L'empathie ne fonctionne pas.
Ils ont autant de charisme et de naturel qu'une porte de prison.
On est tellement dans la démonstration quasi-algébrique des faits que même le sort d'Amandine nous indiffère. Qu'elle soit en train de se putréfier dans la Seine ou qu'elle soit désormais heureuse d'avoir pu dénouer les liens qui la rattachaient à son tortionnaire nous importe peu au final.

Tout l'intérêt d'un thriller psychologique axé sur la manipulation est selon moi de partager la détresse et l'incompréhension d'une héroïne malmenée par son mari. Ici, c'est particulièrement difficile.
Je ne suis pas non plus parvenu à m'attacher aux flics et à leurs histoires sentimentales dignes des feux de l'amour. Leur enquête m'a semblé incroyablement hésitante et assez peu réaliste en dépit de quelques bonnes idées originales et inédites.
Je n'ai pas non plus apprécié cette légère touche de paranormal : Amandine qui visite les rêves de Yoann sans qu'ils ne se soient jamais rencontrés, l'âme comparée à une boule d'énergie apte à réintégrer le corps dont elle s'est échappée.
Yoann Cliven est doté d'une sensibilité et d'une intuition qui sont comme un don inexplicable.
"Le jour où tu acceptes tes intuitions comme des messages venant de l'invisible, ce jour-là, tes perceptions seront multipliées par cent."
Même si ces faits ont été étudiés par l'auteure, qui a également travaillé pour son livre avec un médium, ces petites touches d'irrationnel cassent un peu le rythme et nous empêchent d'y croire tout à fait. Ou alors c'est moi qui ait l'esprit trop cartésien.

Reste que dans son roman, et c'était sans doute son but premier, le lecteur comprend bien ce mécanisme de manipulation mentale et toute la difficulté des victimes à sortir d'un tel schéma, un carcan devenu leur mode de vie.
Reste également une écriture très fluide et des pages qui se tournent rapidement, on ne s'ennuie pas, on apprend et malgré tout on veut savoir comment tout cela va se terminer, si les enquêteurs étaient ou non sur la bonne piste.

Mais en fin de compte, ce qui aurait pu être un bon polar psychologique en exploitant autrement le thème récurrent de la manipulation aboutit à un résultat assez bancal et peu convaincant, tout en restant agréable à lire.

* * *

Je profite qu'Antyryia se soit absenté pour écrire de dernières lignes.
J'ai oublié de vous dire : Si vous êtes amené à jouer au trivial pursuit ou à n'importe quel autre jeu de culture générale, que ce soit en famille ou en société, apprenez auparavant toutes les réponses par coeur afin de toujours briller davantage. Votre suprématie ne pourra que s'en trouver renforcée. Et par conséquent votre crédibilité, si un jour ça tournait au vinaigre.
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