Citations sur Le tout sur le tout (14)
Je demeure chez moi autant que je le peux, dans ma soupente, au huitième étage, où il fait très froid l'hiver, trop chaud l'été. Je suis revenu aux mansardes de mon enfance. Ma soupente ressemble par ses dimensions à une cellule, à une cabine de transatlantique, à un belvédère, ou bien, quelquefois, à une dunette... Elle est meublée d'une armoire blanche, d'une table de sapin teinte au brou de noix, sur quoi j'écris, d'une chaise, d'un lit-divan où je dors, où je rêve les yeux ouverts, ou fermés, pendant que le réveil-matin grignote ce qui reste de la nuit.
M. Vialle nous battait les mollets à l'aide d'une longue baguette flexible qui servait aussi à souligner les cours sinueux des rivières sur la grande carte murale de la France. D'où mon manque d'intérêt pour la géographie.
On devrait s'accorder pour déclarer que seul un artiste exceptionnellement doué pût avoir l'idée d'écrire et de créer une telle oeuvre. Faire une planète d'abord pour la donner en jouet à l'homme qui devra la détruire et se détruire lui-même. On voudrait parler de génie - un génie un peu fou comme tous les génies. On voudrait applaudir. Quelle économie rigoureuse où tout, dès le début, concourt au dénouement qui sera un éclatement inouï, le plus extraordinaire que l'on ait vu et entendu jamais, le greatest in the world.
On inaugurait officiellement la ligne numéro I du Métropolitain, de Vincennes à Maillot. Nous prenions un bon départ, dans la direction du progrès, du bien-être, de la science, sous les regards maternels d'une France aux dessous froufroutants et aux mamelles bombantes, l'une étant le labourage, l'autre le pastourage, à moins que ce ne fussent le commerce et l'industrie.
Peu importe, nous entrions décidément dans une ère nouvelle, un autre Grand Siècle. Toujours plus haut, toujours plus loin, toujours plus de lumière. Nous avançâmes ainsi de monts en merveilles durant une dizaine d'années - quatorze exactement. Jusqu'où ne serions-nous point allés de ce pas ?
On ne peut se défendre de regretter nostalgiquement la dernière avant-guerre, après avoir regretté la précédente. On va ainsi d'une avant-guerre à l'autre. Et nous voici de nouveau dans une troisième avant-guerre dont nous ne connaîtrons les grâces qu'après. On est dans l'avant-guerre, sempiternellement.
Oui, tant que j'aurai ma mère, tout ira bien. Mais après, j'entrerai dans un monde plus froid.
A présent, nous sommes devenus bons amis, Rose, son mari et moi. Nous avons tous trois un peu enflé avec l'âge, nous sommes en outre devenus raisonnables, et un peu poussifs aussi pour les sentiments. (Prenez le chagrin d'amour le plus violent, laissez-le mariner, ajoutez-y dix ans, et il n'en restera rien, ou presque, une impression vague de roman aux trois quarts oublié.)
Je repense à tout cela, en buvant un verre à la terrasse de la Closerie des Lilas, à ma naissance, à mes amours, ou à d'autres choses.
Ne me secouez pas, je suis plein de larmes
Les souvenirs sont comme les lianes; il faut se méfier de ne pas trébucher à chaque foulée.p.157
Le luxe, c'est tout ce qui est moelleux, tempéré, tamisé, feutré ; le luxe a un arôme de tabac oriental... Je le humais dans les boites vides de cigarettes Muratti's que ma mère mettait de côté pour moi.