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Critique de HordeDuContrevent


« Ecotopia » est un classique de la littérature écologique, une utopie écrite en 1975, qui m'a donné quelques frayeurs au départ : si l'écologie m'intéresse au plus haut point, j'aime lire sur ce sujet des romans car c'est, pour moi, la meilleure porte d'entrée pour l'aborder. J'alterne parfois avec des essais plus pointus mais le roman reste ma priorité pour que derrière des mots, parfois galvaudés ou ressassés telles des ritournelles, il y ait des sentiments, un éveil, un ébranlement. le roman a en effet cet immense avantage de convoquer non seulement la raison mais de faire appel également au coeur. Or, ce livre a un ton tellement pédagogique et dogmatique que j'ai bien cru tenir entre mes mains un essai déguisé, voire un pamphlet politique par moment. En réalité c'est bien plus que ça. Certes la découverte de l'économie et de la société de ce pays insolite, dans tous ses détails, fait penser à une fine observation sociologique. Mais c'est également l'histoire d'une rencontre, de la métamorphose d'un homme et une histoire d'amour.

Car oui Ecotopia est un pays. Trois Etats de la côte ouest des Etats-Unis (la Californie, l'Oregon et l'Etat de Washington) décident de faire Sécession, de s'isoler et de bâtir une société écologique radicale baptisée Ecotopia. Vingt ans après, la timide reprise des liaisons diplomatiques, entre les Etats-Unis et Ecotopia, autorise la visite d'un journaliste américain dans ce pays. Sa mission pendant plusieurs semaines consiste à explorer le mode de vie écotopien sous toutes ses formes, à pointer d'éventuels problèmes et à admettre ses réussites. Il est curieux mais sceptique et plein de préjugés pour ce pays dirigé par une femme. le livre alterne ses points de vue personnels et ses articles qu'il envoie au fur et à mesure à son journal.

Tout est passé en revue : le recyclage, la minimisation des déchets, l'agriculture sans pesticide, l'absence de voiture, l'égalité entre les hommes et les femmes, la famille élargie, le contrôle démographique, les 22 heures de travail hebdomadaires, la fiscalité, l'absence d'esprit de compétition, le rapport à la nature et notamment le rapport sacré à la forêt, le rapport aux technologies, l'autogestion des ouvriers…Il y a un parti pris évident de la part de l'auteur, on adhère en totalité, partiellement ou pas du tout, mais dans tous les cas c'est bien un modèle économique en rupture totale avec le modèle capitaliste qui est décrit et qui résonne avec certaines solutions que nous tentons de mettre en place aujourd'hui, que ce soit celles visant à faire des déchets de certaines industries les matières premières d'autres, que ce soit les principes de l'écoconception, les tentatives de sobriété, le retour à une consommation locale…

« L'Écotopien désireux d'acheter une importante quantité de bois, par exemple pour construire une maison, doit travailler plusieurs mois dans un camp forestier : planter des arbres, entretenir la terre et dans l'idéal mettre en branle le processus de croissance végétale qui permettra un jour de remplacer le bois qu'il achète. (C'est une belle idée, très poétique mais assez absurde, même si les gens prennent ainsi conscience des ressources forestières dont ils bénéficient.) »

« de manière mystérieuse, les Écotopiens ne se sentent pas « séparés » de leur technologie. Leur attitude rappelle un peu celle des Indiens : le cheval, le tipi, l'arc et les flèches sont tous sortis, comme les êtres humains, du sein de la nature, et ils entretiennent avec elle un lien organique ».

Arrivé en simple observateur dubitatif, notre américain devient partie prenante enthousiaste, partisan et amant engagé dans la construction d'un monde meilleur. Il vit une véritable transformation et son histoire d'amour passionnée avec une écotopienne va le placer devant un dilemme : choisir entre deux mondes.

« Ecotopia » est une utopie porteuse d'espoirs sur les réponses à apporter au problème écologique d'une troublante actualité. Alors que les concepts de l'économie circulaire se diffusent de plus en plus, nous constatons que toutes ces idées étaient comprises et maitrisées dans les années 70. Cette utopie lumineuse vient en contrepoint, parmi mes lectures, à la dystopie du sublime Symphonie atomique d'Etienne Cunge paru le mois dernier. Lorsque le premier propose un idéal et fait rêver, le second nous offre à voir les conséquences du réchauffement climatique dans 50 ans, pour nous qui sommes peut-être à un point de non retour dans cette période que nous traversons, nouvelle ère géologique durant laquelle nous sommes en train de détruire notre écosystème, ère qualifiée parfois d'Anthropocène et démarrée à l'aube du 19eme siècle avec la Première Révolution Industrielle et l'extraction des énergies fossiles. Il faut dire que ces deux livres n'ont pas été écrits à la même période. A l'utopie possible des années 70 a-t-on atteint un point de non-retour tel que nous voyons fleurir à foison les dystopies ?

Ce livre a été écrit en effet en 1975. Posons le contexte. Nous sommes après le premier choc pétrolier des années 1973/1974 qui a sonné les États-Unis, à tel point que Carter voudra faire entrer les États-Unis dans une nouvelle ère, l'ère des énergies renouvelables. le président, qui sent le vent gronder dans la société où les mouvements écologistes se font entendre, fera même poser des panneaux solaires sur le toit de la maison blanche. Nous sommes également après le rapport Meadows de 1972, le rapport commandé par le club de Rome, portant sur les limites de la croissance. Il présentait 13 scénarios concluant, si rien n'était fait, à la mort ou au déclin de la société industrielle du fait de la pollution, de l'extraction des énergies fossiles, de la croissance démographiques, de la baisse de la biodiversité. Les années 80 et le retour des politiques libérales avec Reagan et Thatcher auront raison de cette prise de conscience et tueront dans l'oeil cet éveil écologique qui aurait pu tout changer. le livre d'Ernest Callenbach prend ses racines dans ce contexte économique et politique. le changement est alors possible, écrire une utopie semble être une évidence. Proposer et faire rêver pour oser la rupture…

J'ai aimé assister à la transformation du journaliste. J'ai adoré voir à quel point les choix écologiques, économiques et politiques ont des impacts sur les personnes, sur leur rapport à la vie, aux autres, à la sexualité, à la nature.

« En Écotopia, hommes et femmes ont cette aisance naturelle propre aux animaux. Au Cove, ils restent longtemps allongés et détendus, pelotonnés par terre ou sur un canapé, étendus au soleil sur de petits tapis ou des nattes, presque comme des chats. Ils s'étirent, changent de position, font de mystérieux exercices proches du yoga, et semblent jouir avec intensité de leur corps ».

Ecotopia n'est pas une lecture que nous pouvons qualifier d'agréable. Elle est exigeante, elle nécessite parfois de prendre du recul par rapport aux solutions proposées, elle reste éclairante, surprenante aussi lorsque l'on pense que ce livre a été écrit dans les années 70. Troublante à découvrir à l'aune de ce que nous vivons, en cette fin de COP26 dénuée d'actions collectives concrètes. Un classique nécessaire. Un indispensable pour ne pas se résigner.

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