Il était doux, ce retour, la patrie retrouvée ; mais ma seule pensée, douloureuse, était pour celle que j'avais perdue, et mes yeux se fixaient sur la Lune à jamais inaccessible, la recherchant. Et je la vis. Elle était là où je l'avais laissée, étendue sur une plage très précisément située au-dessus de nos têtes, et elle ne disait rien. Elle était couleur de la Lune ; elle tenait la harpe sur sa hanche, et elle remuait une main pour produire des arpèges lents et rares. On distinguait bien la forme de la poitrine, des bras, des flancs, et c'est ainsi que je me la rappelle encore, aujourd'hui que la Lune est devenue ce petit cercle plat et lointain ; je suis toujours en train de la chercher du regard, elle, tout aussitôt que dans le ciel se montre le premier croissant, et plus il grandit, plus je m'imagine que je la vois, elle, ou quelque chose d'elle, mais rien d'autre qu'elle, avec cent, avec mille aspects différents, elle qui rend Lune la Lune et qui, à chaque pleine Lune, pousse toute la nuit les chiens à hurler, et moi avec eux.
La route se perdait dans une zone montagneuse faite de petites vallées et de chaînes et de collines et de cimes ; ce n'étaient pas cependant ces reliefs du sol qui lui donnaient son caractère accidenté, mais la superposition d'objets jetés là : c'était dans ces terrains vagues qu'allaient finir tout ce que la ville consommatrice expulsait à peine s'en était-elle servie, pour pouvoir aussitôt retrouver le plaisir de manipuler de nouvelles choses.
D'abord, j'avais cru que leur disparition avait été pour mes frères la magnanime acceptation d'une défaite ; maintenant, je savais que plus les dinosaures disparaissent, plus ils étendent leur empire, et sur des forêts bien plus immenses que celles qui couvrent les continents : dans l'enchevêtrement des pensées de ceux qui demeurent.