Citations sur Sous le soleil jaguar (16)
Je me perdais dans ces va-et-vient sur l'échelle des odeurs, je ne savais plus discerner la direction dans laquelle poursuivre mon souvenir, je savais seulement qu'en un point de la gamme un vide s'ouvrait, un pli caché o se nichait ce parfum qui était pour moi toute une femme.
Pour chaque peau de femme il existe un parfum qui exalte son parfum, une note de la gamme qui est tout à la fois couleur saveur odeur douceur, et ainsi le plaisir d'une peau à l'autre peut ne pas avoir de fin.
Debout le nez au vent m’arrivent des signes moins précis mais plus chargés de sens et de soupçons, des signes que tu refuses même de récolter quand tu as le nez par terre tu te tournes de l’autre côté, comme cette odeur qui monte des roches du ravin où nous autres du troupeau jetons les bêtes dépecées, les viscères avariés, les ossements, et où les vautours planent en tournoyant. Et cette odeur que je poursuivais c’est là en bas qu’elle s’est perdue, c’est de là en bas qu’elle remonte suivant la direction du vent ensemble avec la puanteur des cadavres déchiquetés l’haleine des chacals qui les déchiquettent encore chauds le sang qui sèche sur les roches au soleil.
[ In Le nom, le nez ]
Comme autant d’épigraphes en un alphabet indéchiffrable, dont la moitié des lettres auraient été effacées par le polissage du vent chargé de sable, c’est ainsi que vous serez, parfumeries, pour l’homme sans nez de l’avenir. Vous nous ouvrirez encore de silencieuses portes vitrées, et sur les tapis vous amortirez nos pas, vous nous recevrez dans vos espaces d’écrins, dépourvus d’angles, parmi les revêtements en bois laqué des parois, vendeuses et directrices hautes en couleur et bien en chair comme des fleurs artificielles nous frôleront encore de leurs bras potelés armés de vaporisateurs ou de l’ourlet de leur jupe lorsque, sur la pointe des pieds, elles grimperont au sommet des tabourets : mais les flacons les burettes les ampoules à bouchons de verre taillés en facettes ou en pointe continueront en vain à nouer, d’un étalage à l’autre, le réseau de leurs accords de leurs consonances de leurs dissonances contrepoints modulations et progressions : nos sourdes narines ne saisiront plus les notes de la gamme : les arômes musqués ne se distingueront plus des cédrats, l’ambre et le réséda, la bergamote et le benjoin resteront muets, scellés dans le sommeil tranquille des flacons. Oublié l’alphabet de l’odorat, qui en faisant autant de vocables, d’un lexique précieux, les parfums demeureront sans paroles, inarticulés, illisibles.
[ In Le nom, le nez ]
Pendant des années, tu as fait creuser des souterrains sous le palais, sous la ville, avec des ramifications qui mènent en pleine campagne… Tu voulais te garantir la possibilité de te déplacer de n’importe quel côté sans être vu, tu croyais ne pouvoir maîtriser ton royaume qu’à partir des entrailles de la terre. Puis tu as laissé les excavations tomber en ruine. Te voici maintenant réfugié dans ta tanière. Ou prisonnier de ton propre piège. Tu te demandes si tu retrouveras jamais le chemin pour sortir de là. Sortir : mais où ?
[ In Le roi à l'écoute ]
Cette autre, au contraire, était une voix qui venait de l'ombre, heureuse de se manifester sans sortir de l'obscurité qui la cachait et de jeter un pont vers toute présence qui demeurerait enveloppée dans cette même obscurité.
Dans un instant, sa coix et la tienne se répondront et se confondront à tel point que tu ne sauras plus les distinguer...
Mais trop de sons s'interposent, frénétiques, coupants, féroces ; sa voix disparaît, étouffée par le vrombissement de mort qui envahit le onde extérieur, ou qui résonne peut-être en toi. tu l'as perdue, tu t'es perdu, la part de toi-même qui se projette dans l'espace des sons court maintenant à travers les rues parmi les patrouilles du couvre-feu. La vie des voix aura été un rêve, elle n'a peut-être duré que quelques secondes, comme font les rêves, tandis qu'au-dehors persiste le cauchemar.
"Tu es toujours plongé en toi-même, incapable de participer à ce qui t'entoure, de te dépenser pour ton prochain, jamais de ta part une vibration d'enthousiasme, et toujours prêt à glacer l'enthousiasme des autres, décourageant, indifférent." Dans l'inventaire de mes défauts, elle ajoute, cette fois-ci, un adjectif nouveau, ou tel qu'il se chargeait, à mes oreilles, d'une signification nouvelle : "Insipide !"
Voilà, pensai)je, j'étais insipide, et la cuisine mexicaine avec toute son audace et son imagination était nécessaire pour qu'Olivia pût se nourrir de moi avec satisfaction, les saveurs les plus vives étaient le complément, voire le moyen de communication indispensable comme un haut-parleur qui eût amplifié les sons, pour qu'Olivier pût s'alimenter de ma substance.
... je passe entre une peau et l'autre cherchant cette peau perdue qui ne ressemble à aucune autre peau.
C'était justement cela que je demandais à l'expérience précise de Madame Odile : donner un nom à une commotion de l'odorat que je ne parvenais ni à oublier ni à retenir dans ma mémoire sans que lentement elle s'estompât.