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Citations sur Les impardonnables (22)

Il y a quelque chose de brutal, ou peut-être d'animal seulement, dans la promptitude avec laquelle un enfant retourne à ses jeux après l'un de ces intermèdes qui ont suspendu au-dessus de sa tête le mouvement des sphères. Il semblait impossible de le voir quitter ce sortilège sans armes ni rébellion. Mais comme si il émergeait d'un songe, à la façon des animaux et des miraculés qui vont en quête de nourriture à l'instant même où ils ouvrent les yeux, il aura tôt faire de dire j'ai faim, et après avoir pris avidement sa part de goûter, c'est à cloche-pied qu'il s'échappera pour la manger ailleurs : non sans un soupçon d'effronterie, comme si pousser des cris ou chanter à tue-tête était une manière d'afficher son détachement. Il se retournera de préférence, alors, vers le monde des bêtes, et qu'il tire le chien par le collier ou empoigne le chat, il se jettera avec eux dans une course folle à travers le jardin.
Non pas que l'enfant ne vive dans un rapport parfait avec les objets qui l'entourent. Au contraire. Immergé dans la grâce d'une sensualité sans défaut, ses mains saisissent l'orange, elles s'enfoncent dans la richesse d'un pelage ou d'une eau vive avec tout l'aplomb d'un ange et la même vélocité. Mais l'enfant ne le sait pas. Il ne pourra le savoir que le jour où sa mémoire se refermera comme un cercle sur ses propres commencements. Le vieux le sait en revanche. Leur dialogue se déroule entre un jardin où l'on est nu sans le savoir et un vestibule où l'on s'est dénudé.
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Mais c’est vrai, plus que la mort
ils craignent la beauté,
plus redoutable pour eux que la mort.

William Carlos Williams

Perfection, beauté. Qu’est-ce à dire ? Parmi les définitions, il en est une possible. C'est un caractère aristocratique. Mieux encore, c'est la suprême aristocratie. De la nature, de l'espèce, de l'idée. Même au sein de la nature, elle est culture. La démarche souple et altière d'une jeune Africaine de la Côte-de-l'Or est l'œuvre de siècles de nage, de jarres d’argiles portées d'aplomb sur le crâne, de danses et de chants plus difficiles que le grégorien le plus pur. Si un seul des trois éléments faisait défaut : piété, libre jeu, arts féminins, la perfection ne langerait pas de son voile chaste et impérieux le corps de la jeune fille. A travers les millénaires, en quelque sorte, l'arbre du paradis exprima l'oiseau-lyre; à force de se joindre en prière, les mains devinrent un jour des arcs gothiques.

Aujourd'hui, tout cela est offensé, renié, détruit. Introuvable et néanmoins présent, comme sous un ongle une épine empoisonnée. Ainsi l’homme a-t-il dû convertir la perfection en objet d'horreur sacrée. Que tout souvenir du temps céleste soit maintenant banni, enterré à jamais dans le jardin du potier. Et surtout, qu’il soit proscrit. Car l'on sait que la perfection est d'abord cette chose perdue, endurance et sereine immobilité. L'homme qui médite, la femme sur le seuil, le moine agenouillé, le silence prolongé du roi. Ou l'animal aux aguets, la besogne habile d'une bête. Ce poids aérien et terrible – silence, attente, durée – l'homme l’a exclu de son être. Et voici qu’il vit désormais une terreur paranoïde face à ce qui est « sentiment et précision, humilité, concentration, élégance. » Comment exiger, d’autre part, le courage du cri déchirant : « Beauté, éloigne-toi de moi, je te crains, ton souvenir me lacère, va et sois maudite » ? Comme le cri d’Eve chassée de l’Éden, tout cela réclame des voiles, l’obscurité d’une sylve. Et voici les attentats indirects contre les servantes de l’irretrouvable : grâce, légèreté, ironie, sens subtils, regard ferme et pointilleux. Ou, pour user intellectuellement de termes théologiques : clarté, finesse, agilité, impassibilité. (pp. 100-101)
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Celui qui cherche la connaissance pour accroître son pouvoir ne découvre-t-il pas, à la fin, combien est dérisoire l’objet de son désir ?

In, L’HISTOIRE DE LA CITÉ DE CUIVRE
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Mais seule la vérité est plus grande que le vrai, et pourtant le vrai fait trembler quand il apparaît : si petit, si accessible, si fragile. Il est d’ailleurs le seul horizon accordé à la vision. Entre toutes choses, la vision est la seule que ne se laisse pas rêver, mais seulement adorer avec des larmes de joie quand elle daigne se manifester

In, LES SOURCES DE LA VIVONNE
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Dans les contes, on le sait, il n’y a pas de routes. On marche devant soi comme si l’on suivait une ligne droite. Mais cette ligne, à la fin, se révélera sous l’aspect d’un labyrinthe, d’un cercle parfait, d’une spirale, d’une étoile – ou même sous l’aspect d’un point immobile que l’âme ne quitta jamais, tandis que le corps et l’esprit redoublaient d’effort dans leur voyage apparent. Il est rare que l’on sache où l’on va, ou tout simplement vers quoi l’on va ; car il est impossible de savoir ce que sont en réalité l’Eau qui chante, la Pomme qui danse, l’Oiseau qui devine.

IN MEDIO COELI
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Un poète ne parle pas la langue mais la médite :
ainsi la puissance du lion réside-t-elle dans ses pattes.
Marianne Moore



Donc, où chercher l’écrivain ? Une question en appelle une autre. Par exemple : qu’est-ce que le style ?

Une première image se présente : c’est une vertu polaire grâce à laquelle le sentiment de la vie peut à la fois se raréfier et s’intensifier. Ainsi, sous l’effet d’un mouvement contradictoire et simultané, là où l’artiste a concentré l’objet au maximum et l’a réduit, comme les peintres T’ang, à un unique profil, à une ligne claire qui est la diction même de l’âme, le lecteur le sentira se multiplier en lui, s’exalter en harmoniques innombrables. Un exemple de style tragique et d’horreur sublime condensés en un seul trait nous est fourni par Pline le Jeune dans son évocation du supplice de la Grande Vestale : au moment de gagner vivante la nuit du tombeau, elle se retourne soudain pour mettre de l’ordre dans ses vêtements et repousse la main du soldat « avec un dernier geste de délicatesse, comme si elle ne désirait pas souiller son corps chaste et pur ». D’une qualité analogue fut la trouvaille d’un grand mime italien, Moretti : dans la scène d’Arlequin serviteur de deux maîtres où deux repas sont servis en même temps, à l’acmé d’un étourdissant crescendo de bonds et de cabrioles, il réduisait tout à coup ses gestes à une suite d’immobilités cadencées, jambes ouvertes, jusqu’à l’instant imprévisible où il basculait sur la tête, tandis que jambes et bars poursuivaient au ralenti leur mouvement de ciseaux. Dans le public, l’impression d’activité vertigineuse atteignait alors l’image désirée, celle d’un impossible : comme si venait de prendre corps la formule : « Rien de plus immobile qu’une flèche en plein vol. »
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D'un homme au comportement aristocratique, Frédéric Chopin, il a été dit que "rien ne l’ennuyait d'avantage que d'être cru sur la foi de ses manières très douces et sa courtoisie slave" : lamentation, hélas! toute moderne de l'homme bien né, dans un monde désormais barbare et d'où sont bannis les graves sous-entendus de la politesse, les inaccessibles pudeurs de la grâce : cauchemar horriblement littéral où tout a la valeur de ce qu'il parait.
Nous régressons, semble-t-il, vers une époque de pachydermes dont il serait déshonnête d'exiger que l'art du cristal leur soit familier : l'understatement ou la litote courtoise, par exemple, et son précieux complément, l'hyperbole noble, si chère à Shakespeare : qui est souvent une hyperbole renversés.
S'il existe encore un mandarin chinois, s'il possède toujours un palais de porcelaine, et s'il continue d'inviter des hôtes vénérables à honorer sa modeste maison, je crains qu'il ne doive s'attendre, pour toute réponse, qu'a un sérieux, condescendant et perplexe : "Mais allons, cher ami, ce n'est pas si mal!"
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(...) la fleur, l'étoile, la mort, la danse continue à se ressembler, et la ressemblance à mettre en déroute la terreur.
Clarté, finesse, agilité, impassibilité. Assieds-toi contre le mur, lis Job et Jérémie. Attends ton tour, chaque ligne lue est profitable. Chaque ligne du livre impardonnable.
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Pour eux, cependant, la beauté bannie n’interrompt pas son périple inaperçu. La fleur, l’étoile, la mort, la danse continuent à se ressembler, et la ressemblance à mettre en déroute la terreur. Clarté, finesse, agilité, impassibilité. Assieds-toi contre le mur, lis Job et Jérémie. Attends ton tour, chaque ligne lue est profitable. Chaque ligne du livre impardonnable.
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Qu'est-ce qui en ce monde existe vraiment, sinon ce qui n'est pas de ce monde?
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