Citations sur S'émerveiller (55)
L’autre fois (le printemps), je me promenais dans une belle ville, très animée, et j’observais des centaines de touristes en train de s’autophotographier, à bout de bras ou d’une longue baguette étudiée pour. Cette furie des selfies est troublante. Si la meilleure position pour voir le monde et en jouir est hors de soi, pour les adeptes du selfie, la perception de l’émerveillement est exclue.
Il faut s’arrêter devant le réel, et cet arrêt seulement rend possible l’émerveillement.
Cette poésie qui déjoue nos façons d'entendre les mots, qui les démembre puis les réassemble pour les faire sonner selon d'autres réseaux d'autres significations, que provoque-t-elle en moi, sinon l'émerveillement ?
S'émerveiller résulte souvent, devant la beauté du monde comme devant l'invention artistique, d'une déroute de nos habitudes. (p. 105)
On écrit pour apprendre ce qu’on pense, et pour penser enfin jusqu’au bout ce qui végète, inabouti, en soi. C’est pourquoi je me représente toujours l’écriture comme un déploiement.
.... nous devons plus d’une fois admettre, comme Pascal (quoique d’une autre manière) : « Nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivreI. » Vivre (intensément) exige de se tenir dans le présent pur, et rien n’est moins aisé. Je le puis dans la joie de la danse, de l’étreinte, du rire et de la contemplation. Le reste du temps, je vis légèrement en avant de moi-même, ce qui exclut l’émerveillement.
Mon âme plonge dans l’eau
et ressort
avec le cormoran
Ryõta
L'oeuvre d'art peut même nous émerveiller tant que soudain elle nous happe et nous absorbe.
(...) ce grand désir qui nous tire du lit chaque matin dans l'appétit de vivre même quand le sens de cette existence ne paraît ni donné ni évident, qui accompagne continûment les enfants parce que, n'étant pas encore entravés
par les angoisses et les douleurs, ils manifestent ce que nous sommes originellement : énergie et élan, capacité d'étreindre, d'être présent au lieu et au moment. Mais les adultes ont une marche plus heurtée, tous ne témoignent pas d'une organisation heureuse et j'en connais qui ne présentent aucune disposition à l'émerveillement- celle-ci s'acquiert tôt, et à qui l'on n'a jamais dit Regarde, Ecoute, il sera plus difficile d'y accéder. (p. 27)
Je dis souvent des arbres qu'ils sont des torches de temps pur. Leur taille est liée à leur âge, et au-delà de leur beauté plastique, le fait qu'ils incarnent ( imboisent ) le temps fait à mes yeux leur prix et leur sacralité (nul ne devrait pouvoir les couper à sa guise, car nul ne peut être propriétaire du temps )(p. 121)
Furetière, dans son -Dictionnaire universel-de 1690, note, pour -admirer- : " Action par laquelle on regarde avec étonnement quelque chose de grand et de surprenant ", et il ajoute "dont on ignore les causes". pour -admirable- : "qui est surprenant, merveilleux, qu'on ne peut comprendre. " On voit pourquoi en anglais -to wonder- signifie à la fois s'émerveiller et se poser des questions. (p. 79)