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Critique de Kirzy


Avec cet excellent opus, Thomas Cantaloube clôt sa trilogie consacrée aux arcanes peu ragoûtants de la Vème République époque gaulliste. Après les soubresauts de la guerre d'Algérie ( Requiem pour une République ), puis les débuts du Françafrique et la guerre du Cameroun ( Frakas ), l'auteur explore les dessous sombres de l'après-colonisation en mettant en lumière un épisode guadeloupéen peu connu en métropole.

Après une énième agression raciste, la Guadeloupe explose, de mouvements de grèves en émeutes violemment réprimées. le 26 mai 1967 à Pointe-à-Pitre, les forces de l'ordre ouvrent le feu. Il y a des morts mais il ne faut surtout pas le dire. Tabou absolu. Ce n'est qu'en 2016 qu'une commission indépendante présidé par l'historien Benjamin Stora parle de « massacre ordonné sciemment sur le terrain et approuvé par le gouvernement sous la présidence du général De Gaulle ». le non archivage des événements rend difficile d'établir un bilan fiable. Sans doute près d'une centaine de morts, contre les 7 officiels.

Le fond du roman est passionnant, la forme est tout aussi réussi. Jamais le poids du sujet et de la documentation n'écrasent le romanesque. Thomas Cantaloube a une nouvelle fois trouvé l'équilibre parfait entre Histoire et fiction.

On adore retrouver l'attachant trio fictif Luc Blanchard ( ex-policier, ici journaliste pigiste à France-Antilles ), Antoine Lucchesi ( ex-truand corso-marseillais reconverti en skipper pour riches propriétaires de voiliers ) et l'inénarrable Sirius Volkstrom ( ex-collabo officiant désormais dans l'anticastrisme pour la CIA ) cotoyer de vrais personnages comme le jeune Jacques Chirac, alors secrétaire d'Etat à l'emploi ou Jacques Foccart, le grand manitou du Françafrique.

Le lecteur est complètement immergé dans une intrigue fluide et virevoltante, en empathie pour la quête de justice de Luc dont la compagne fait partie des 19 Guadeloupéens appelés à comparaître devant la Cour de sureté de l'Etat à Paris, accusés d'avoir organisé les émeutes. On suit dans l'urgence son enquête acharnée jusqu'à la capitale et l'arrière-boutiques des ministères pour remonter le fil de ses constatations initiales.

Les genres "polar historique" et "thriller politique" sont idéaux pour pousser à la réflexion, ici en questionnant la pérennité des méthodes brutales pour réprimer des mouvements sociaux, et plus largement la continuité entre ordre colonial et violences policières. On est sidéré devant le portrait d'une Guadeloupe des années 60, qui par bien des aspects n'est pas considéré comme un département français mais plutôt comme une colonie non décolonisée, rongée par le racisme et les inégalités sociales.

«  Ce n'est pas un affrontement entre flics et grévistes qui dégénère, c'est quelque chose qui remonte des tréfonds de notre histoire. Les gens sur la place de la Victoire ont complètement oublié les demandes d'augmentation. Ils se battent maintenant contre l'injustice, contre ce qu'ont subi leurs parents, leurs grands-parents et toutes les générations avant. Les policiers en face, eux, tout ce qu'ils voient, ce sont des Noirs qu'il faut remettre à leur place ! »

On est glacé de découvrir le parcours du préfet Pierre Bolotte ( dans le roman Delbotte ) : d'abord le corps préfectoral sous Vichy, puis l'Indochine et l'Algérie où il systématise des formes militaro-policières de répression, avant d'atterrir en Guadeloupe ... et de devenir en 1969 le premier préfet du tout jeune département de Seine-Saint-Denis où il expérimente la BAC ( brigade anti-criminalité ).

Hâte de découvrir vers quels horizons va se tourner l'auteur maintenant que sa trilogie est terminée.
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