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Critique de Lulu_Off_The_Bridge


NOLA. No L.A. Big Easy. Une place à part dans la mythologie spatiale américaine. Neuve et décadente, américaine mais pas trop, fruit d'une histoire heurtée, ex-rade de prisonniers et de filles de joie tout autant que creuset historique de l'élégance sudiste, et par là même terre de vaincus – et éternellement, ce fleuve immense qui vient répandre ses eaux brunes dans le golfe du Mexique. Redneck, pour sûr, caribéenne déjà, racée sans aucun doute.

La ballade de Bobby Long, dont le titre original, Off Magazine Street, insiste sur le lien organique entre cadre et intrigue, est doute beaucoup plus proche de la Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole que de la Saga Mayfair, par exemple. Si le roman ne se concentre pas sur les turbulences de la ville, elle n'en est pas moins le pâton originel. de la chaleur humide aux muffuletas, en passant par une solide consommation d'alcool et de dames accortes, l'auteur indique que cette histoire-là ne pourrait pas se dérouler ailleurs. Comme si la Nouvelle-Orléans était condamnée à produire des ambiances velléitaires, des personnages turlupinés par des vices moites – dont ils s'accommodent fort bien. le discours n'est pas neuf, pourtant, Capps ne réinvente pas la Nouvelle-Orléans, ou l'ambiance du Sud. Il s'installe confortablement dans un fauteuil déjà bien tassé par d'autres. On se dit que le but n'est pas de créer un cadre à l'histoire mais de se couler dans une tradition bien ancrée et identifiable. Et ils sont nombreux, les dieux-ladres. Il paraît qu'un premier roman est toujours un hommage, soit. C'est un joli hommage, même si l'élève ne dépasse pas le maître. J'ai lu un peu partout le qualificatif « écriture jazzy » : ne connaissant strictement rien au jazz et n'ayant entre les mains qu'une traduction dont le style ne m'a pas particulièrement éblouie, je vais m'abstenir de commenter.

Échec ou réussite, Capps n'a pas créé de personnage, de psyché en marche qui s'effondre ou se fortifie au fil de mésaventures. Il a repris des types, et l'on pense en vrac à Bukowski, Kerouac, Vonnegut de loin, Faulkner et Tennessee Williams en ombres chinoises. On pourrait dire qu'il a créé une dynamique, un genre de sauvetage à la Pygmalion qui voit double et sans aucun flegme britannique.
Si Bobby et Byron sont les deux héros (flageolants) du roman, leur dynamique prend un sens nouveau avec l'arrivée d'Hannah. Orpheline white trash désabusée qui fuit la Floride et un homme peu enthousiasmant dans l'espoir de récupérer un semblant d'héritage d'une mère qu'elle a peine connu, le passif est lourd. Et pourtant, le contact des deux losers en fait une sorte de jeune pousse à peine défraîchie. Comme dans la pièce de Bernard Shaw, la jeune fille finira par devenir vraiment jeune fille, une ado normale à peine plus sage que ses dix-sept ans, prête à affronter le monde plutôt qu'à le laisser lui passer dessus dans tous les sens du terme. Au prix d'un travail acharné, certes, mais surtout grâce à un bon nombre de combines et filouteries telles que soudoyer un ancien camarade de beuverie pour qu'il inscrive en terminale une gamine qui a plaqué l'école en 3e. Classieux. La demoiselle panique. En fait, elle ne cesse de paniquer tout le long du roman. Parce qu'elle n'a pas le niveau, que ses pères de substitution rêvent de sa petite culotte, ou qu'ils organisent des barbecues avec les clodos du coin. On comprend, mais les oies blanchâtres effarouchées m'agacent. le personnage n'est pas particulièrement intéressant et la seule valeur que je lui trouve est celle de révélateur. Car grâce à elle, les deux paumés magnifiques s'investissent ailleurs que dans la vodka orange. On se dit qu'elle est un peu ingrate, cette gamine, qu'elle ne se rend compte que bien tard de la chance insensée qu'elle a eu de rencontrer les deux hommes. Dix-sept ans, tout reste à faire. Mais en sortant de son marasme, en devenant n'importe quelle jeune fille, Hannah n'est plus une histoire à raconter et s'estompe logiquement. Ce qui n'est pas le cas des deux autres...

Elle est là, la vraie réussite du roman, je trouve. Dans une putain de belle amitié, qui survit à la picole, au sexe, au manque d'argent, aux aigreurs de la vie qui démontre un peu trop souvent que pour avoir l'impression de réussir, il vaut mieux être con et inculte. Bobby et Byron, un ancien professeur d'université déchu et un écrivain qui ne décide pas à finir son roman, vivent comme des enfants, liés à la vie à la mort. Particulièrement touchant. Évidemment, on pense à Kerouac, Byron écrivant sur Bobby comme Sal Paradise sur Dean Moriarty. Ils partagent tout, femmes, alcool, plans géniaux et aberrants à mettre en place séance tenante, entretiennent leurs fantasmes réciproques. On ne sait trop s'ils tournent en rond ou s'ils s'empêchent mutuellement de sombrer. Comme un souvenir dédoublé d'Humbert Humbert, autre littérateur déchu, ils fantasment de concert sur cette-demi lolita sans vraiment croire à une bonne fortune éventuelle. La belle ne veut pas (on la comprend) ôter sa petite culotte ? Sans importance. Ce qui est important, ce n'est pas de savoir si Hannah se laissera faire, pas plus que de voir Byron le bien-nommé achevera son livre, non. L'important, c'est que cela reste possible, que l'illusion fragile n'éclate pas comme une bulle de savon. Quand elle finit néanmoins par éclater, la messe est dite, la culotte reste en place, il est temps de mettre les voiles.

Contrairement aux héros de Sur la route, Bobby et Byron ne se séparent pas. La route, ils finissent par la reprendre. Si la rencontre a été décisive pour Hannah, je ne suis pas certaine qu'il en soit de même pour les deux quinquagénaires. Tels qu'en eux-mêmes, ils se déplacent juste un peu plus loin. Certes, Byron a fini son livre… et après, quoi ? On les imagine répéter sans cesse le même genre d'aventures, jusqu'à la mort de l'un ou de l'autre, enquiller sur d'autres histoires à se raconter sous un porche, au coin d'un bar, au volant d'une voiture cabossée, arrosées de vodka orange. On imagine une dizaine d'autre romans autour de Bobby Long et Byron Burns – et l'excipit de cette Ballade, un vague récit par un personnage anonyme en forme de « on les aurait vu sur les routes… », semble conclure en ce sens.

En attendant, je vais remercier les éditions Rue Fromantin et Babelio pour cette lecture. Je crois que La Ballade de Bobby Long est un bon livre. Pas une oeuvre maîtresse, mais une lecture intéressante. Touchante, souvent drôle, notamment par ses dialogues (quoique parfois trop « brèves de comptoirs » pour être crédibles), qui flirte avec beaucoup trop de souvenirs littéraires pour que l'on soit totalement dépaysé. Une oeuvre feel-good un peu triste, avec une morale si légère qu'elle semble un prétexte, dont l'image forte serait celle de deux pauvres types qui se font la lecture, les pieds dans une piscine gonflable, par une chaleur insupportable. Personnellement, je lui trouve un certain charme.
Lien : http://www.luluoffthebridge...
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