Le chalet est minuscule mais il y a la montagne, qui s'incurve comme une caresse, l'herbe est douce, les étoiles innombrables, si proches, je n'en ai jamais vu d'aussi brillantes, elles scintillent sans faiblir dans le ciel, des milliers de broches précieuses piquées sur le manteau de la nuit. La nuit est une reine très riche, je ne me lasse pas de la regarder.
" Au pied de l'arc-en-ciel se dissimule toujours un trésor", nous répétait mon père. Notre univers avait la texture d'un rêve, oui, une enfance rêvée, plutôt qu'une enfance de rêve.
J'ai quatorze ans et je vais au cinéma tous les deux jours. Un jour pour voir le film, le lendemain pour en rêver.
Elle me tient par la main, et pousse en même temps mon frère dans son landau. Nous traversons la rue, nous marchons, personne ne parle. Les voitures roulent et les gens bougent en silence, c’est comme un film muet. Je n’ai pas encore remarqué, je crois, son regard fixe, sa démarche fantomatique, même si je sens qu’elle est loin, ses pensées l’ont encore capturée à des années-lumière, j’ai l’habitude… Oui, mais si loin, ce jour-là, qu’elle ne m’entend pas crier lorsqu’un passant m’arrache à elle…
Elle continue sa route, la tête bien droite, elle avance vers ce point mystérieux qu’elle fixe toujours, elle s’éloigne d’une marche régulière, presque mécanique, elle avance invariablement, sans enthousiasme ni détermination, sa trajectoire se dessine toute seule, elle n’espère rien, elle se déplace simplement vers autre chose, là où elle est censée se rendre, et ce rendez-vous, ce but quel qu’il soit, la laisse indifférente tout autant que ma disparition. Ma panique, mes efforts pour attirer son attention sont inutiles, aucun de mes hurlements ne l’alertera… Elle poursuit sa route, la poussette à la main, sans s’inquiéter de moi. Elle n’a pas senti ma main lui échapper, elle n’était que de l’eau ou du vent dans la sienne. J’ai six ou sept ans, et ce rêve revient de plus en plus souvent. Je sais bien que ce n’est qu’un cauchemar, mais il semble contenir une vérité que je ne saurais ignorer: ma mère ne me voit pas, elle ne me
sauvera d’aucun danger, elle n’est pas vraiment là, elle ne fait que passer, elle est déjà passée. Elle s’en va.
Je suis une actrice connue, que personne ne connaît. (p262)
Mon angoisse : passer devant, juste à côté sans le voir, manque LE livre qu'il me fallait, qui aurait été fait pour moi, lumineux, salutaire, dans lequel j'aurais puisé les conseils d'un ami, enfin obtenu les bonnes réponses.
Les enfants s'ennuient.
Les parents, sans doute, aussi.
Mais impossible de lire sur leurs visages,
ils sont loin, ailleurs, dans une autre vie,
inaccessible et compliquée.
p 120
Nous avions déjà rencontré les mêmes objections avec Goldorak, ainsi qu’un rejet définitif et sans appel des poupées Barbie : « Vous n’allez pas regarder ces merdes ! Les Barbies, c’est moche, c’est kitsch et misogyne, tu préfères pas un livre, bon sang pourquoi les enfants ont toujours un goût de chiotte .
C'est une chose qu'elle n'a jamais comprise, elle s'est approchée du bonheur plusieurs fois, mais à peine entrevu, il li échappe déjà.
S'autorisait-elle à caresser son enfant à travers la peau fine de son ventre?
p 50