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Critique de katicha


"Pour nous, s'il est un ciel et s'il est un enfer
Le second est trop loin et le premier trop cher."

C'est Kipling qui m'accompagne à l'heure de vous parler de ce livre, car il faudrait des mots bien plus beaux que les miens pour dire toute la grandeur du Petit Blanc de Nicolas Carteret.

J'ai invoqué Kipling, j'aurais pu demander leur aide à Cendrars, Mac Orlan, Ramuz ou Vialatte, grands spécialistes du coeur humain, grands aventuriers des belles-lettres. Qu'importe. Si les ombres de ces grands anciens ont pu m'accompagner une partie du chemin, c'est le Petit Blanc seul qui reste à l'arrivée.
Car ce livre, voyez-vous, est de ceux qui n'ont besoin de personne pour les défendre, les promouvoir, les diffuser. Si j'en parle, ce n'est pas comme d'un tas de papiers couverts d'encre. Je vous le présente, comme on le ferait d'un ami cher, un être qui croise votre chemin un jour et qui reste à vos côtés.
Petit Blanc, donc. Un titre modeste, comme l'est la condition du héros. La seule richesse d'Albert Villeneuve, c'est l'espoir: l'espoir d'une vie meilleure dans une colonie lointaine, l'espoir de planter du café et d'assurer une existence dénuée de tout tracas à sa femme et à sa fille, qu'il aime au-dessus de tout.
Un espoir qui sombre durant la traversée, à laquelle sa famille n'a pas survécu.
Seul, veuf et orphelin de sa fillette, Albert s'accroche quelques temps à son projet de plantation, entre deux journées à la mine, puis entre deux verres de rhum. Mais les terres agricoles sont destinées aux familles. Et aux hommes sobres. Et plus Albert s'enfonce dans son ébriété, dans sa colère, dans son désespoir, plus Fort-Djaba lui est hostile. Les fantômes de Marthe et Louise le rendent fou de douleur, jusqu'à l'entraîner dans une rixe contre un grand personnage local. Impossible de rester en ville dans ces conditions: le Petit Blanc abandonne donc ses compatriotes et s'enfonce loin dans les terres...

A une époque où l'on cause volontiers psychologie, résilience ou bien-être, dans un monde où l'on cherche souvent des modèles à imiter, où l'on attribue un sens positif au terme"influenceur", où l'on vous enjoint quotidiennement de changer quelque chose dans votre attitude, dans un monde enfin où l'on vous somme de "choisir la vie" qu'on vous a préparé, la voix d'Albert Villeneuve semble bien dissonante.
Et pourtant.
Pourtant, c'est cette voix qui dit le vrai.
Albert croyait choisir la vie, mais c'est la vie qui l'a choisi, seul, pour survivre au naufrage de ses espoirs. Et la vie, c'est tout ce qui lui reste. Cette petite flamme, ce feu qui refuse de crever au coeur de son coeur, c'est ce qui pousse Villeneuve à partir loin de la folie des grands Blancs. C'est cette braise minuscule qu'il cherche à sauver. Qu'il apprend à connaître. Qu'il apprend à confier, parfois. Car apprendre, c'est aussi une façon de reprendre vie, ou d'accepter son sort. Sans doute, l'apprentissage est difficile. Car après l'espoir, après l'amour, le Petit Blanc découvre à ses dépens que l'on peut perdre encore davantage: l'amitié, le respect de soi-même, la notion de réalité.
Mais ce faisant, c'est une grande leçon qu'il partage avec nous. Car , de chute en chute, Villeneuve nous enseigne de quoi la vie est faite, ce qu'il y a de grand dans les petites choses. Pareil à l'alchimiste, il affine, il épure, il retranche pour en arriver à l'essence même de l'humain, la pierre philosophale que dissimule notre carcasse.

Albert, désormais, fait donc partie de mes amis imaginaires. Et je m'en réjouis.




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