Attractive target

Je les observe tous, les grands aidant les petits, les aînés très sérieux, les mains croisées dans le dos, les petites serviettes pour récupérer les miettes, les enfants si disciplinés, les adolescentes jouant déjà à la maman, images d’Épinal et familles parfaites. Je n’ose pas faire un geste de peur de trahir mes mauvaises manières et toutes mes imperfections.

Certains continuent de me fixer au point de me mettre mal à l’aise. Je détourne les yeux et souris au cerisier, en réalisant que les adultes comme les enfants, sur trois générations, vouvoient tous leur aïeule et emploient les mêmes expressions d’un autre temps. J’ai l’impression d’avoir plongé en immersion dans une tout autre dimension.

Avec Nour, on connaît toutes les paroles par cœur et l’on ne se gêne pas pour lui improviser un spectacle chanté et dansé au milieu du jardin. Suzanne applaudit ou râle selon nos interprétations, tape du pied ou des mains, et finit par reprendre avec nous les refrains.

Ses bonnes manières sont apparemment réservées à une seule et unique personne. Alors que je voudrais le haïr, je reste un instant suspendue au souvenir de ses lèvres pleines posées si tendrement sur la peau ridée de Suzanne. Et je me demande quel effet elles feraient sur la mienne. Et si elle est la seule femme avec laquelle il se montre doux, prévenant, tendre, attentif, délicat.

Avec sa combinaison fluide et bohème, ses longues boucles soyeuses et ses bijoux colorés, Nour rayonne sans effort, comme d’habitude. Elle fait toujours un effet fou aux hommes ; je dois juste attendre qu’ils me remarquent aussi. Elle les éblouit ; je suis celle qui vient après et qui gagne à être connue. Ce rôle me convient bien. La plupart du temps.

Une sexualité épanouie fait aussi partie des bases d’une santé de fer et d’une longue espérance de vie, déclare la grand-mère. Il faut pratiquer davantage, jeunes filles.

Snober le monde pour éviter d’en être exclue. Mettre de la distance entre elle et les autres avant qu’ils ne le fassent eux-mêmes. En fait, ce n’est peut-être pas de la solitude que Suzanne souffre le plus, mais de la peur de l’abandon.

Je le trouve plutôt dur, froid, cruel, féroce, énigmatique… Les mecs qui jouent les taiseux ont rarement des choses intéressantes à dire. Et ceux qui reluquent les filles comme ça n’ont pas beaucoup d’estime pour elles.

« Tu es belle, tu as du chien et tu le sais. »
C’est la phrase la plus troublante que j’ai entendue dans la bouche d’un homme.

Les petites vieilles, ça ne t’emmène pas en voyage, ça ne conduit pas de super bagnoles, ça n’offre pas de beaux bijoux, tu vas te lasser rapidement…