Les vaches montbéliardes vont et viennent entre les deux territoires sans que l’on puisse fixer une frontière qui délimite un territoire précis. En pays comtois, le lien entre la vache montbéliarde et les éleveurs résulte d’une histoire longue au cours de laquelle la sélection de la montbéliarde dessine des limites territoriales tout en structurant une culture locale. Cette dernière est mise en question à plusieurs reprises sans que pour autant les frontières intraprofessionnelles érigées par les défenseurs de la race ne réussissent à fracturer le groupe des éleveurs locaux durablement. Les fromagers traversent plutôt la frontière de la Suisse vers la France et, pour des raisons bien identifiées par les historiens, s’y installent. En Franche-Comté, les savoirs techniques liés à l’animal se transmettent dans un temps long, et consolident des formes de solidarité historiquement présentes sur le territoire. En revanche, l’individualisme familial et la culture protestante qui l’accompagne en pays vaudois nous semblent empêcher les savoirs techniques vaudois d’accéder au statut de culture.
De nombreux villages sont bi- voire tripartis, tel Fontaine-Française, divisé en une rue française et trois rues comtoises. La frontière est d’abord une démarcation fiscale, localement précise et connue de tous, mais faite d’un tissu d’enclaves (Richard, 1964, p. 123).
Les sujets savent en profiter pour échapper à l’impôt : à Fontaine-Française, tout le monde sait qu’à l’arrivée des percepteurs français, ceux de la rue Neuve, sous juridiction royale, « translatoient » leurs biens dans la rue de la Maladière, sous juridiction comtoise, « pour estre a seurté qui est oultre les bounes »;