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Critique de Woland


Chez Eve de Castro, c'est avant tout le style qui retient l'attention, un style sensuel, soyeux, chatoyant, toujours en prise directe sur l'époque évoquée. "Nous serons comme des dieux" se déroulant sous la Régence de Philippe d'Orléans et le roman étant mené à deux voix (celle, à la troisième personne, du narrateur traditionnel et omniscient et celle, à la première personne, d'Adélaïde, fille cadette du Régent, entrée dans les ordres pour expier la vie scandaleuse de son père et de son aînée,), le lecteur peut supposer que, au moins sur ce point, il ne sera pas déçu.

Cette technique, excellente si on la maîtrise - ce qui est le cas - a pour effet de faire entrer de plain pied dans l'époque et l'intrigue sans qu'on soit le moins du monde déstabilisé. (La réussite absolue dans le genre demeure sans doute Françoise Chandernagor et son "Allée du Roi".)

Pourtant - car il y a un pourtant - on reste assez sur sa faim, encore plus si on lit ce roman après l'extraordinaire "pavé" consacré par Eve de Castro aux "Bâtards du Soleil."

Certes, les enfants légitimés du Roi-Soleil ayant survécu à la terrifiante mortalité infantile du siècle étaient, à l'arrivée, au nombre de six et, sur eux, il y avait beaucoup à dire et à souligner. le neveu de Louis XIV, lui, eut aussi quelques bâtards mais il eut aussi huit enfants légitimes, sur lesquels il en conserva sept. Si l'on garde en général à l'esprit que son fils aîné fut le père du régicide "Philippe-Egalité", de ses filles, on se rappelle surtout Marie-Louise-Elisabeth, duchesse de Berry, morte à l'âge de vingt-quatre ans, et sa cadette immédiate, Louise-Adélaïde, future abbesse de Chelles. Des quatre autres, dont l'une devint pourtant reine d'Espagne, on ne se souvient guère à moins d'être totalement immergé dans L Histoire.

Eve de Castro, et on le regrette parce que ce parti pris souligne la superficialité de "Nous serons ...", les évoque à peine et se focalise sur les troubles rapports que l'on reprocha au Régent d'entretenir avec sa fille aînée, rapports constatés, observés et blâmés avec une sévérité croissante par Adélaïde, la future nonne. Certes, sous cette austérité réprobatrice, la romancière fait courir le fil d'un amour incestueux au moins aussi passionné que celui unissant le père et la fille aînée, bien plus même puisque, ici et là, Elisabeth donne l'impression d'en vouloir à son père de lui avoir imposé un sentiment qu'elle était trop jeune pour comprendre et maîtriser. Alors que l'amour d'Adélaïde pour le Régent, bien que non consommé charnellement, n'a rien d'une contrainte ou d'un abus pratiqué dans l'enfance : il naît d'une sensation de rejet, puis d'une jalousie conçue par la fillette le jour où elle voit son père enlever sa soeur à leur mère pour la faire soigner par ses médecins personnels. Ce jour-là, c'est pour Elisabeth que le Régent tremble et s'inquiète mais pas un instant, il ne songe que le mal dont souffre son aînée peut s'abattre aussi sur la cadette qu'il abandonne derrière lui ...

On le voit, la situation familiale, chez le premier prince du sang, était loin d'être simple et eût probablement réjoui Freud. Mais le thème a quelque chose d'antique qui méritait mieux, bien mieux qu'un survol et, en regardant les personnages succomber à des passions aussi ombrageuses que contradictoires, on regrette le manque d'analyse en profondeur. de si belles convulsions, des volcans si terrifiants ... on aurait bien aimé en savoir un peu plus sur tout ça.

Alors, reste le style, un style qui charme, qui retient - et qui s'efface dans notre souvenir, le livre à peine refermé. Dommage que la flamme, cette flamme qui illumine "Les Bâtards du Soleil", fasse ici défaut. A croire que, jusque dans la création romanesque, l'Oncle-Soleil aura poursuivi de son antipathie et de sa méfiance le neveu bien trop doué : le fils de Madame Palatine ne méritait pas cela. ;o)
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