Citations sur Jung : L'expérience intérieure (32)
L'instant où la lumière se fait est Dieu. Cet instant apporte la délivrance. C'est l'expérience originelle du moment vécu et elle est déjà perdue et oubliée quand on pense que le soleil est Dieu.
(...), cette reconnaissance d'une dimension religieuse constitutive à l'âme humaine va de pair pour lui avec l'entrée dans un autre domaine, ce domaine que Goethe a appelé le "royaume des mères" -c'est-à-dire, en fin de compte, l'affirmation d'une relation organique entre la Féminité essentielle et la perception du divin.
"Nul n'est en mesure, s'il ne connaît pas vraiment l'expérience intérieure, de persuader autrui qu'elle existe. La seule parole -avec quelque bonne intention que ce soit- ne persuadera jamais personne."
Personne ne peut comprendre, en effet, cette sorte d'expérience s'il ne l'a pas connue lui-même, mais il sait alors aussi comme elle est douloureuse, et qu'à forcer de la sorte les portes du mystère, à contempler l'inconnu, cet absconditum où défaille le langage mais se fonde la vie, on chemine quelque temps sur ces routes de montagne où l'on n'a plus, sur la tête, que le ciel infini, et sous les pieds cet abîme où l'on plonge aussitôt pour peu que l'on cède au vertige et que l'on glisse une seule fois.
L'homme est un miroir dans lequel Dieu se contemple, ou bien l'organe sensoriel au moyen duquel Il se saisit dans son être.
Autrement dit, c'est un lieu de méditation au sens propre de ce mot, c'est-à-dire de mesure et d'évaluation des images qui l'habitent (et le mysterium tremendum n'est jamais : images de ce que Boehme appelle "la colère de Dieu" et la Cabale sa "Rigeur"- ce à quoi, on le sait, Jung a toujours été très sensible), (...).
Or, ce qui se révèle tout de suite à lui dans cette expérience singulière, c'est le pouvoir, ou plutôt que le pouvoir, le processus de personnification des archétypes qui structurent la psyché, c'est leur phénomène d'épiphanie dans des formes individuées, c'est l'apparition de personnes dans le monde de l'âme- dont l'existence et la réalité sont telles en ce domaine que, non seulement on ne peut les mettre en doute, mais qu'on ne peut tout autant qu'engager le dialogue avec elles : "Au pied d'un haut mur de rochers, j'aperçus deux personnages, un homme âgé avec une barbe blanche et une belle jeune fille : "Je rassemblai tout mon courage et les abordai comme s'ils étaient des êtres réels. J'écoutais avec attention ce qu'ils me disaient." (Ma vie)
Car voici que Jung, à présent, au-delà de ses rêves et de ses visions initiales, s'avance encore plus loin dans le continent inconnu de sa propre psyché où il va découvrir les figures de l'inconscient.
Dans un processus soutenu d'imagination active, c'est-à-dire d'une imagination à qui on donne libre cours pour créer comme elle l'entend selon sa propre logique et les fins qu'elle se donne, il entreprend en effet, de manière éveillée, des voyages de son âme qui ressemblent étrangement à ces voyages dans l'au-delà que rapporte Plutarque à propos par exemple de ce fameux Timarque, dont l'âme gagna l'Hadès par la grotte aux oracles dédiée à Trophonios, à la descente dans les régions souterraines de la Pythie de Delphes, aux descentes aux Enfers des anciens chamans grecs comme nous en avons encore le témoignage pour Eupiménide de Crète ou Abaris de Proconnèse.
Donc, une harpe éolienne.
C'est-à-dire des fils de soie que l'on tendrait des branches d'un arbre pour les relier à la terre, et où le vent, en soufflant, dans d'étranges musiques, ferait naître à sa guise les mélodies de la Nature. Nous ne sommes pas loin, ici, de la musique des sphères, c'est-à-dire de lamusique que produit l'univers dans son ordre profond -d'une symphonia naturae comme Paracelse parlait de lumen naturae, cette lumière de la Nature qui est l'empreinte de Dieu en l'homme.
Solitude nécessaire, solitude peuplée de toute la vie de l'âme quand on suit son chemin vers l'obscurité vers la lumière, de l'obscurité d'autant plus grande que la lumière est plus vive et qu'on s'approche à mesure de son centre irradiant : alors que Jung prépare son aion, cette "phénoménologie du Soi" où il s'explique en même temps avec la figure du Christ dont il cherche depuis l'enfance à percer le secret et avec laquelle il nourrit un rapport profondément dialectique, tissé de fascination, d'angoisse, d'insatisfaction et d'un amour évident, cette figure qu'il veut comprendre sans jamais la réduire et à propos de laquelle il veut surtout savoir quel est son sens ultime, il répond à Aniella Jaffé, celle qui recueillera les souvenirs, les rêves et les pensées de Ma vie, à Aniella Jaffé donc qui vient de lui écrire à Bollingen : "Votre lettre m'est parvenue dans une période de difficile réflexion. Je ne peux malheureusement rien vous communiquer à ce sujet. Ce serait trop long. Et je ne suis pas encore au bout de mon chemin de croix. J'approfondis des idées difficiles et lourdes à porter. Après avoir longtemps erré dans l'obscurité, j'ai vu apparaître des lumières éblouissantes dont je ne sais ce qu'elles veulent dire. Je sais en tout cas pourquoi et pour quoi j'ai besoin de la solitude de Bollingen. Elle est plus que jamais nécessaire. (Lettre à Aniella Jaffé du 12 avril 1949, dans Correspondance, tome III)".
"Mais il faut bien nous habituer à la pensée que le conscient n'est pas un "ici" et l'inconscient un "là" : la psyché représente bien plutôt une totalité consciente inconsciente."
Jung. Les Racines de la conscience