Retour (« Heimkehr »)
Qu’aucune
Voix dissimulée ne soit
Découverte.
Aucune.
Comment la vie, sinon,
Serait-elle agrandie devant moi
Et transfigurée ?
Pour les amis
– À la maison il n’y en aura aucun –
Un regard est déjà
Suffisant
Et pour la mère
Le signe qu’enverront peut-être mes asters. –
Rayon de nuit
Le plus brillamment brûlé les cheveux de ma bien-aimée du soir :
à elle j'envoie le cercueil de bois le plus léger.
Des vagues l'entourent comme autour du lit de notre rêve à Rome ;
il porte comme moi une perruque blanche et parle d'une voix rauque :
il parle comme moi quand j'accorde l'accès aux cœurs.
Il connaît une chanson française sur l'amour, je l'ai chanté en automne
quand je me suis arrêté en touriste en Lateland et j'ai écrit mes lettres
au matin.
Une belle barque est ce cercueil taillé dans le taillis des sentiments.
Moi aussi, j'y dérive en aval, plus jeune encore que ton œil.
Maintenant tu es jeune comme un oiseau mort dans la neige de mars,
maintenant il vient à toi, te chante sa chanson d'amour de France.
Tu es lumière : tu dormiras pendant mon printemps jusqu'à ce qu'il soit fini.
Je suis plus léger :
devant des inconnus je chante.
Landschaft
Ihr hohen Pappeln - Menschen dieser Erde !
Ihr schwarzen Teiche Glücks - ihr spiegelte sie zu Tode !
Ich sah Dich, Schwester, stehn in diesem Glanze
Paysage
Vous, grands peupliers - hommes de cette Terre !
Vous, noirs étangs du bonheur - vous les avez reflétés jusque dans la mort !
Je t'ai vue, ma Sœur, te dresser dans cet éclat.
Tout est Autrement que tu le crois, que je le crois,
[…]
Le nom d’Ossip vient à ta rencontre, tu lui racontes
Ce qu’il sait déjà, il le prend, il t’en décharge, avec des mains,
Tu détaches le bras de son épaule, le droit, le gauche,
Tu ajustes les tiens à leur place, avec des mains, des doigts, des lignes,
– ce qui s’est arraché, à nouveau se rejoint –
là tu les as, prends-les, tu les as tous les deux,
le nom, le nom, la main, la main,
prends-les en gage,
cela aussi il le prend, et tu as
de nouveau ce qui est tien, fut sien […]
FUGUE DE MORT
Lait noir du petit jour nous le buvons le soir
nous le buvons midi et matin nous le buvons la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons une tombe dans les airs on y couche à son aise
Un homme habite la maison qui joue avec les serpents qui écrit
qui écrit quand il fait sombre sur l’Allemagne tes cheveux d’or Margarete
il écrit cela et va à sa porte et les étoiles fulminent il siffle pour appeler ses chiens
il siffle pour rappeler ses Juifs et fait creuser une tombe dans la terre
il nous ordonne jouez maintenant qu’on y danse
Lait noir du petit jour nous te buvons la nuit
nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
Un homme habite la maison qui joue avec les serpents qui écrit
qui écrit quand il fait sombre sur l’Allemagne tes cheveux d’or Margarete
Tes cheveux de cendre Sulamith nous creusons une tombe dans les airs on y couche à son aise
Il crie creusez plus profond la terre vous les uns et les autres chantez et jouez
il saisit le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont bleus
creusez plus profond les bêches vous les uns et les autres jouez encore qu’on y danse
Lait noir du petit jour nous te buvons la nuit
nous te buvons midi et matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete
tes cheveux de cendre Sulamith il joue avec les serpents
Il crie jouez la mort plus doucement la mort est un maître d’Allemagne
il crie plus sombre les accents des violons et vous montez comme fumée dans les airs
et vous avez une tombe dans les nuages on y couche à son aise
Lait noir du petit jour nous te buvons la nuit
nous te buvons midi la mort est un maître d’Allemagne
nous te buvons soir et matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d’Allemagne ses yeux sont bleus
il te touche avec une balle de plomb il te touche avec précision
un homme habite la maison tes cheveux d’or Margarete
il lâche ses chiens sur nous et nous offre une tombe dans les airs
il joue avec les serpents il rêve la mort est un maître d’Allemagne
tes cheveux d’or Margarete
tes cheveux de cendre Sulamith
Bucarest, 1945.
[VON SCHWELLE ZU SCHWELLE] DIE HALDE
Neben mir lebst du, gleich mir:
Als ein Stein
In der eingesunkenen Wange der Nacht.
O diese Halde, Geliebte,
wo wir pausenlos rollen,
wir Steine,
von Rinnsal zu Rinnsal.
Runder von Mal zu Mal.
Ähnlicher. Fremder.
O dieses trunkenen Aug,
das hier umherirrt wie wir
und uns zuweilen
staunend in eins schaut.
[DE SEUIL EN SEUIL] LA PENTE
Tu vis à côté de moi, pareille à moi:
pierre
dans la joue effondrée de la nuit.
O cette pente, mon aimée,
où nous roulons sans faire de pauses,
nous les pierres,
de rigole en rigole.
Plus rondes à chaque fois.
Plus semblables. Plus étrangères.
O cet œil ivre
qui comme nous erre ici tout autour,
et parfois, étonné,
nous voit confondus.
(MOHN UND GEDÄCHTNIS)
Er ruft süsser den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland
er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch in die Luft
dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng
Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland
wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken
der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau
er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau
(PAVOT ET MEMOIRE)
Il crie plus douce la mort la mort est un maître d’Allemagne
il crie plus sombres les archers et votre fumée montera vers le ciel
vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on n’est pas serré
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne
nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons
la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu
il t’atteint d’une balle de plomb il ne te manque pas