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Critique de Malaura


Dans sa relation au monde et par certains aspects, Louis-Ferdinand Céline fait un peu penser à Thomas Bernhard. Ce dernier verrait sans doute un outrage dans cette comparaison tant leur pensée était diamétralement opposée, Bernhard ayant affiché avec la plus vive férocité son mépris pour le nazisme et l'antisémitisme. Pour autant, les deux hommes partagent certains des traits de caractère qui les ont conduits vers les sommets de la littérature : leur misanthropie, la sévérité de leurs jugements, leur solitude, leur hargne clairement exprimée, leur humour noir, leur ironie, leur verve acerbe, cette conscience de leur grandeur alliée à une blessure profonde qui leur faisait mépriser l'univers dans son ensemble, cette application obsessionnelle à ressasser et à se répéter dans un discours laissant souvent le souffle court et l'esprit en déconfiture…
S'ils sont bien différents dans leur pensée profonde, les deux hommes occasionnent toutefois la même curiosité et la même frénésie de lecture chez le lecteur qui veut se faire bousculer les neurones avec des écrits qui font mal, qui choquent souvent, qui gênent parfois, qui le renvoient à sa petitesse toujours.

Ce petit ouvrage des Carnets de L'Herne est une intéressante entrée en matière pour découvrir l'univers, la pensée et un peu de « la petite musique » (comme il aimait à qualifier son style) de celui qui a bouleversé la littérature avec des oeuvres alliant provocation et pouvoir d'évocation. Il présente de brefs textes de Céline, écrits à diverses périodes de son existence entre 1914 et 1960, dont le fameux « A l'agité du bocal », écrit au vitriol datant de 1948, en réponse à un article rédigé par Jean-Paul Sartre pour le journal « Les temps modernes ».
Celui-ci, dans un article de 1945 intitulé « Portait d'un antisémite », arguait que « si Céline avait pu soutenir les thèses socialistes des nazis c'est qu'il était payé. » Alors emprisonné au Danemark, Céline ne répondit à l'affront qu'à sa libération trois ans plus tard, dans un pamphlet qui fut tiré à 200 exemplaires par les amis de l'auteur…
Ce premier texte est plutôt réjouissant comme peut l'être parfois la lecture d'un écrit insultant qui révèle bien plus du pathétique de leur auteur que de celui de l'individu en proie à la brimade.
Un texte assez délectable dans sa virulence et dans lequel Céline, remonté à bloc, traite de tous les noms celui qu'il nomme exprès Jean-Baptiste Sartre au lieu de Jean-Paul. On a droit ainsi à toutes sortes de jolis petits noms allant du galant « bousier » à la « petite fiente » en passant par un « damné pourri croupion » du plus bel effet ! On rit, davantage de l'auteur que de l'insulté, et tout ceci est finalement assez allègre et enjoué bien que totalement ridicule.

« Les carnets du cuirassé Destouches » datant de 1914, est le plus émouvant des textes proposés. Il illustre de façon très brève mais percutante la situation d'un jeune homme de 17 ans en plein tourment de guerre : « je commençais sérieusement à envisager la désertion qui devenait la seule échappatoire à ce calvaire »….Céline y avoue sa détresse et sa peur ainsi que son caractère à tendance déjà misanthrope, orgueilleux, entier et difficile, au gré de notes éparses, jetées dans une urgence qui confère toute la force de ce journal de soldat écrit au plus fort de la tourmente. « C'est au hasard des jours que je remplis ces pages. Elles seront notées et empreintes d'un état d'esprit différent selon les jours car depuis mon incorporation j'ai subi de brusques sautes physiques et morales ».

On passera brièvement sur les autres textes : « L'argot est né de la haine» de 1957, aurait pu être intéressant s'il n'avait pas été si bref. Céline n'y développe pas son assertion et se contente d'exprimer ce que l'on sait déjà, l'argot est le parler populaire des pauvres. Rédigée en 1931, « 31, Cité d'Antin » est une préface sous forme de dialogue entre deux jeunes époux sur les dessins de l'Hôtel de passe Mahé. Quant à « Bezons à travers les âges » et « Préface à Semmelweis », s'ils permettent de découvrir le grand manieur de mots qu'était Céline dans un style moins radical, dépourvu des exclamations, des points de suspension et des phrases courtes qui ont fait sa légende, ils demeurent toutefois bien moins représentatifs du bonhomme et de son caractère atrabilaire.

Le plus intéressant, celui qui prend aussi le plus d'espace, reste sans doute l'interview de 1960 d'un Céline vieillissant, retiré du monde. S'y révèle un vieil homme seul, à la fois navrant et touchant car misérable, un être amer, aigri, suret comme un fruit blet, un vieux monsieur ressassant ses amertumes et ses griefs de vieillard radotant n'aspirant qu'à la tranquillité. S'y constate aussi que son animosité envers les juifs est bien ancrée et profonde, qu'elle remonte à l'enfance et relève principalement de l'éducation. Grandi dans un univers populaire plus que modeste où il fallait faire des économies sur tout, c'est un Céline enfant qui croît avec l'image, fréquente à cette époque, du juif riche, ambitieux et pingre, ce parfait stéréotype qui a fait tant de mal de l'être vil baignant comme un poisson dans l'eau dans le bassin des affaires, de l'argent, de la joaillerie…Celui qui, alors que vous vous débattez pour un bout de chandelle, la brûle allégrement par les deux bouts avec le mépris et l'indifférence des gens riches..Un cliché poussé dans le terreau meuble d'un esprit juvénile de petit garçon, qui prendra racine au fil des épreuves et des troubles mondiaux, pour éclore sur ce chiendent de la pensée célinienne.

Enfin, on ajoutera que lire Céline, tenter d'approcher son esprit et essayer de le comprendre n'est sûrement pas le justifier et l'on ne devrait pas occulter ses écrits, notamment ses pamphlets, à cause de ce féroce antisémitisme et de cette pensée nauséabonde. Bien au contraire, l'on devrait pouvoir s'y vautrer comme dans un bain de boue afin de remuer nos consciences et que, de cette fermentation au coeur de la fange, naissent un sentiment de révolte et la volonté de ne jamais oublier le mal et l'opprobre que le racisme génère.
Au terme de la lecture, plus de doute, on aura une idée tout à fait claire de qui est « l'agité du bocal »…
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