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Critique de Eric76


Louis-Ferdinand Céline, le « grand bazardeur de la patrie », le « fléau mauvaise foi cynique saboteur », le « mal embouché », le « désastreux pitre », le « bouc providentiel », le « traitre rêvé »…
Cet « animal des ténèbres », celui montré opportunément du doigt par les résistants de la vingt-cinquième heure pour cacher leurs propres turpitudes, leurs petites saloperies, leurs grandes lâchetés…
Ainsi se voyait Céline ! En victime expiatoire. Tout juste bon à être éviscéré, puis immolé par les « bonnes consciences » à la place de plein d'autres, bien plus fieffées ordures d'extrême mauvaise foi que lui.
Réfugié dans sa colline de Meudon, il se défend becs et ongles contre le monde entier si monstrueusement injuste envers lui. Il en oublierait presque « Bagatelles », le grand Ferdine. C'est quand même à cause de ce livre, de son antisémitisme viscéral, de ses fréquentations douteuses qu'il se retrouve en plein Bérézina…
Il combat avec son unique arme : les mots ! Il éructe. Il rugit. Il vocifère. Sa haine est incandescente. Un magma en fusion.
Il ne veut épargner personne. Les pauvres qui se méfient de lui, médecin loqueteux. Et qui écrit en plus ! les éditeurs, ces vampires qui lui sucent jusqu'à la dernière goutte de son sang. le monde littéraire nouvelle vague. Des bien plus pitres que lui. Tartre (JP Sartre) le grand clown ; Malraux l'idole des jeunes ; Mauriac le chichiteux bordelais…. Pas un qui n'échappe à sa rage embrasée. Ses trois petits points qui pétaradent comme une mitrailleuse, qui explosent comme de grands geysers de lave en fusion.
Son peu de tendresse, il la donne sans retenue à ses proches : Lili, la compagne des bons et des mauvais jours ; le Vigan, acteur halluciné comme on en fait plus de nos jours ; Bébert, le chat au tact tout en ondes ; toutes celles et ceux qui souffrent et qui ont besoin d'un médecin comme Madame Niçois, une bien vieille dame, une patiente fidèle, arrivée en bout de course.
C'est chez elle que Céline se chope une crise soudaine de paludisme. le « frisson solennel » ! C'est dans la fièvre, les transes qu'il va se souvenir de Sigmaringen, et de son « Hohenzollern-château, fantastique biscornu trompe-l'oeil ». Comme dans un mauvais rêve. Comme une simple déconnade.
Ses souvenirs, il va les vomir au milieu de ses sempiternelles jérémiades. C'est pour éviter de se faire lyncher qu'il accompagne le dernier carré d'hommes fidèles au maréchal Pétain. Toutes les épaves de l'Europe Nouvelle viennent s'échouer à Sigmaringen. Bouts d'armées étrillées ; haillonneux hagard ; rescapés effarés des grands bombardements. Pendant que le médecin Céline a les pieds et les mains dans la merde et le sang, les puissants font toujours comme si l'Europe Nouvelle avait un grand avenir. Théâtre d'ombres pathétique. Elle rétrécit pourtant comme peau de chagrin, l'Europe Nouvelle. Les américains poussent à l'ouest, les russes à l'est, et l'armée de Leclerc s'empare de Strasbourg. Mais on veut encore croire à la victoire finale, et on projette d'édifier une statue de Charlemagne, plus haute que celle de la liberté. Ultime bouffonnerie quand le triste Laval, en échange d'une fiole de cyanure, nomme Céline Gouverneur de Saint Pierre et Miquelon.
Avec le Céline de « D'un château l'autre », « Nord », « Rigodon », ça passe où ça casse. Me concernant, ça passe. Sa musique intérieure, cette écriture réinventée, ses vociférations torrentielles m'ont toujours transporté, fasciné, dérouté, ému, dégouté, perturbé. Par-dessus tout, j'aime quand Céline se fait matois, cabotin, qu'il rentre les griffes, et rit des autres et de lui-même sans méchanceté. Enfin presque !
J'ai mieux compris et davantage apprécié « D'un château l'autre » qu'il y a une trentaine d'années quand je l'ai lu pour la première fois. A cause peut-être des inévitables accidents de la vie, et de deux, trois rêves à jamais disparus… J'aurais préféré autrement.
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