Nat Jaffe se pointa au travail mal luné, comme ça lui arrivait peut-être cinq fois sur onze ou, en ayant la main lourde, quatre fois sur neuf.
Il avait tendance à compenser son attitude hypercritique envers l'état des vinyles en montrant trop d'indulgence pour les êtres humains.
De partout où le destin les aurait fait échouer, des disquaires orphelins, émettant un signal de détresse audible seulement de Nat et d’Archy, sollicitaient constamment les associés. « Ce type pourrait aller en Antarctique, avait dit une fois Aviva de son mari, et en revenir avec un carton de 78 tours ».
A l'instar de toute la génération des neveux Flowers, ils avaient moins l'air de porter leurs costumes noirs mal coupés que de les squatter jusqu'à ce qu'on leur attribue un logement moins gênant.
L'univers des salons de la carte de collection avait toujours fait à Mr Nostalgia l'effet d'une vraie confrérie, d'une ligue d'hommes solitaires unis dans leur recherche des gloires perdues d'un monde disparu. A présent, cette vision lui paraissait au mieux une promesse en l'air, au pire un mensonge. Le passé était introuvable, la ligue des hommes solitaires une fiction, la recherche du passé une tentative vouée à l'échec de damer le pion à la mortalité.
Nat rêvait d'ouvrir déjà d'ouvrir son propre magasin, il lui manquait seulement la moitié des fonds, la moitié des disques, et la moitié de la folie nécessaire à l'entreprise.
- Mon associé est un vrai casse-couilles teigneux, répliqua Archy, qui n'avait pas oublié l'ardeur avec laquelle il avait sauté sur l'occasion de combler cette sainte Trinité du manque.
A l'instar d'un magot familial cousu dans les ourlets et les poches secrètes d'un manteau d'exilé, Oakland gardait ses merveilles dans des lieux cachés, y compris ici, dans ce trou du cul fétide et putrescent.