Citations sur Elle, la mère (26)
Muette dans sa nouvelle prison. Enfermée dans une fosse sans lumière. Ancienne vivante, nouvelle morte. Seule dans le noir et le froid. Sous terre, elle aura enfin la paix. Il l'espère. Il est seul, tout seul à l'enterrement de la mère. Seul face à la mère. Il lève la tête. Les oiseaux chantent joyeusement dans le ciel pour saluer la mort qui vient de se coucher.
Elle a commencé sa vie dans un hôpital, elle la terminera dans un EHPAD. Funeste acronyme de cinq lettres qui signe sa mort certaine. Lieu au rendement insolent, en déficit d'humanité. Endroit sinistre aux prix délirants. Machine à tuer en toute impunité. EHPAD masculin qui a écrasé la féminine maison de retraite. Interdit de s'éloigner de la vie active afin de se reposer. Interdit de réfléchir, de se réfugier, pour se préparer à passer de vie à trépas. Labyrinthe de couloirs tous identiques, aux portes suffisamment larges pour permettre le passage simultané du cercueil du partant et du lit à roulettes du nouvel arrivant.
La mère aimante les enfants. Partout où elle passe, ils viennent à elle spontanément, en toute confiance. Ils savent naturellement qu’elle les comprend mieux que n’importe qui. Elle les accueille avec une gentillesse infinie et une patience sans limites. Elle leur parle d’un ton si juste qu’elle peut en faire ce qu’elle veut.
Le grand-père souffre de la sécheresse de sa femme qui lui reproche de trop boire. Il se console dans les bras d’autres femmes. C’est un sacré queutard. Il ne peut résister aux charmes de ces dames, pourtant il a un physique ingrat et un visage qui n’est pas harmonieux. C’est un notable et il a de l’argent, cela suffit pour gommer ces défauts et que s’ouvrent de nombreuses cuisses. C’est un homme lunaire et généreux qui, comme son épouse, a ses propres bonnes œuvres. À la différence de sa femme, il aime les enfants. Il rend souvent visite aux enfants abandonnés de l’hôpital Notre-Dame.
La mère a une qualité qu’il ne connaît à aucune autre. Sa force. Avant d’être une mère forte, elle a été une jeune fille courageuse, une femme déterminée. Elle a une capacité à s’adapter et à surmonter les épreuves qui jalonnent sa vie. Sa force morale. Une force de l’âme, surtout une grande force de caractère. Plusieurs fois, au cours de sa vie, il l’a vue tomber, être anéantie, dévastée, mais elle a toujours fait face, elle s’est toujours relevée. Cette force est la plus belle chose qu’elle lui ait transmise. Il ne sait pas pourquoi mais il veut croire que la sienne lui vient de sa propre mère. Force de vie. Force de survie. Cette envie de vivre plus forte que tout leur est commune à tous les trois. Force qui passe de génération en génération. De mère en fille, de mère en fils.
La mère ne ment pas. C’est sa vérité. Elle s’est arrangée avec son histoire pour pouvoir continuer à vivre. Elle s’est réinventé un passé pour exister. Elle ne lui a jamais menti. Elle en est bien incapable. Quand elle ne veut pas dévoiler une vérité gênante, elle se tait.
La mère n’a aucune aversion. La mère aime d’instinct. Elle aime comme un animal. Sans réfléchir. Tout de suite, jamais ou pour la vie. Elle aime d’un amour vrai, d’un amour pur. Elle aime sans distinction. À vie. Elle aime sans différence. Enfants et amis aimés de la même façon. Aimés sans avantage. Elle est incapable d’aimer autrement. Elle écarte les gens toxiques. Des gens nuisibles lui sont imposés.
Aimer sans plus, aimer sans moins. Aimer tout simplement. Aimer sans jugement aucun. Amour égoïste. Aucun gagnant, aucun perdant. Aimer pour être libre, tout simplement.
Une mère peut-elle aimer du même amour inconditionnel tous ses enfants ? Une mère peut-elle ne pas aimer ses enfants ? À voir les autres mères, le fils s’est souvent posé la question. Est-ce que la mère a aimé tous ses enfants sans différence aucune ? Il l’ignore, elle le sait. Certains disent qu’il était son préféré. Le favori des quatre. L’élu. Un amour sans condition. Il a voulu en avoir le cœur net. Il lui a demandé si elle l’aimait. Elle lui a répondu « Oui, bien sûr, je t’aime bien. »
La mère est asexuée aux yeux du fils. Il se rappelle lui en avoir voulu d’avoir découvert qu’elle aimait un autre homme que lui. Le mari. Le père. Le fils a eu du mal à accepter le rival, à accepter leur couple. Un couple sans paire. Un couple sans repère. Sans père ni mère. Un couple qui s’appartient.