" Un nom peut être lourd à porter,
continue-t-il***.
Dans la culture kabyle, chacun est "le fils " ou " la fille de".Le poids du patronyme est très important. Celui de Feraoun, on imagine à quel point..."Il était celui d'une cible sur la liste macabre des tueurs de l' OAS." Il me semble en plus que les années passant, les circonstances de la mort de ce grand-père ont été figées dans le temps.Cet assassinat a pu revêtir une force plus grande au fil des ans, devenir un symbole sur lequel la descendance de l'écrivain a dû se construire."
***professeur Amine Benyamina , psychiatre à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif
Les arbres à papillons poussent sur les terres de drame ou les sols à l'abandon.
En 1932, il a 19 ans, Feraoun intègre l' École d'instituteurs de Bouzareah, dans la banlieue d'Alger, où la section " indigènes" a été supprimée deux ans plus tôt. Il y croise un garçon qui devient son frère de coeur, plus tard son éditeur et l'ami de toute une vie: le romancier Emmanuel Roblès.Ce sont encore des jeunes hommes et leurs oeuvres sont devant eux.Ensemble, ils rient, d'un
" humour sans épines ",selon la belle formule de Roblès, s'écrivent et se rendent visite lorsqu'en 1935 le jeune " maître " Feraoun quitte la capitale et retourne enseigner dans ses montagnes.Il épouse une fille de Tizi Hibel, sa chère et jeune cousine Dahbia aux yeux bleus, à qui il apprend lui-même à lire et écrire.
( p.54)
Avant de me rendre à l'hôpital Paul- Brousse, j'ai lu quantité d'articles de revues scientifiques sur ce trouble psychiatrique si particulier qu'est la paranoïa, faite de
" méfiance excessive et irrationnelle envers les autres" et d'" idées délirantes de persécution ou de complot"(...)
J'ai besoin de savoir comment cette maladie peut puiser loin, très loin, dans une généalogie.
- (...)Mouloud Feraoun a vécu la peur de manière réelle, objective.Mais cette angoisse a pu faire écho chez les générations suivantes.Il a probablement creusé malgré lui le lit d'une décompensation pour une partie de sa descendance. Les petites-filles de Mouloud Feraoun ont pu construire une paranoïa a posteriori.
J'interromps son exposé.
- Vous voulez dire que le danger au milieu duquel Moloud Feraoun a vécu, ces menaces de sang et de mort dans lesquels il évoluait ont pu irriguer et créer , deux générations plus tard, un état traumatique ? Emmèner certains membres de sa descendance vers une sorte de paranoïa par procuration ?
( p.162)
- J'ai besoin de savoir comment cette maladie(**paranoïa et délire de persécution) peut puiser loin, très loin, dans une généalogie ?
-(...)Moloud Feraoun a vécu la peur de manière réelle, objective.Mais cette angoisse a pu faire écho chez les générations suivantes.Il probablement creusé malgré lui le lit d'une décompensation pour une partie de sa descendance. Les petites-filles de Mouloud Feraoun ont pu construire une paranoïa a posteriori.
J'interromps son exposé.
- Vous voulez dire que le danger au milieu duquel Mouloud Feraoun a vécu, ces menaces de sang et de mort dans lesquels il évoluait ont pu irriguer et créer, deux générations plus tard, un état traumatique ? Emmener certains membres de sa descendance vers une sorte de paranoïa par procuration ?
( p.162)
Mais à quoi bon la littérature quand la guerre prend toute la place ? La mort annule la fonction, l'engloutit. Seule reste la transcription d'un réel qui s'obscurcit.
Des vies en grappe, pour se protéger de la rudesse des jours.
Nous ne savons rien du saut, mais tout des chutes.
Mon père est mort. J'ai dépassé ça. Mais je reste toujours indigné et obsédé par le fait que des individus, prétendant défendre l'Algérie française, se sont arrogé, en toute impunité, le droit d'infliger une mort injuste et cruelle à six innoncents ".
Arabe par son histoire, kabyle de naissance, français par sa formation et ses amitiés, l'écrivain se reconnaît pourtant d'emblée dans la révolte qui soulève son pays.