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Citations sur Espèces (8)

Depuis notre mariage, il a eu beaucoup de cheveux blancs. Je le sens arriver à un âge ambigu, emporté vers un temps assez ancien, précisément lorsque, toujours à distance, il se met à contempler ce fauteuil.
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En ce moment ce fauteuil inhabité doit ressembler à une carcasse sombre et osseuse à l’heure du coucher. Devant mes yeux, les jambes de A. s’inclinent légèrement. J’imagine son visage assombri par une inquiétude qu’il a pu à peine refouler dans le fond de son ventre durant le jour mais qui lui remonte dès qu’il rentre chez lui.
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Les derniers mois de notre vie de couple étaient très difficiles. Tous les jours en rentrant, A. me voyait de dos seulement, assise sur le fauteuil. Je ne me levais plus pour l’accueillir, pour demander «Comment était la journée?» sans attendre de réponse. Je n’avais plus la force de faire cela, de m’en tenir au rituel, à la formalité.

Depuis le départ de l’enfant dont A. ne veut plus entendre parler, la secrétaire a laissé plusieurs messages sur notre répondeur, tous concernant le travail bien entendu, nécessitant les rappels immédiats de A.

Il se passe des choses dans cette maison comme dans les autres, me suis-je dit, c’est bien, c’est normal, mais je n’arrive pas à les relier les unes aux autres ni à les fixer sur un même plan, dans une même durée, dans une même vie.

La silhouette de l’enfant flottait devant moi et la voix de l’inconnue, que A. probablement voit quotidiennement au travail, résonnait à mes oreilles, de façon à la fois précise et lointaine, comme rencontrées dans une œuvre, dans un rêve. La silhouette de l’enfant et la voix de la femme, avec l’image de A. allant au travail avec son cartable sous le bras, se présentaient à moi avec le rythme des vagues parfois violentes d’autres fois presque inexistantes, m’endormaient.

Alors, A. se tenait là un moment avant de monter déposer ses paquets et se changer. Nous n’avions plus rien à nous dire. Nous nous regardions. C’était plutôt lui qui me regardait, m’examinait, pendant que j’avais le dos tourné.

– Comment tu te sens aujourd’hui?

Une question de routine pour une patiente.
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A. rentre du travail avec, comme d’habitude, des paquets carrés et épais, remplis de documents à digérer pendant et après son repas, documents imprimés exprès pour qu’il puisse les traîner jusqu’au chevet comme des maîtresses successives.

Il s’arrête juste devant moi, pour poser son manteau et son chapeau, en jetant un coup d’œil dans le miroir, mesurant ainsi le degré de l’usure que la journée a pu exercer sur son visage, sur son corps entier, du dedans au dehors.

Ses talons me paraissent gigantesques. Pour la première fois je suis impressionnée par la taille de mon mari, devant ce corps qui, du jour au lendemain, me semble devenir démesurément grand.

En reconnaissant du fond du cœur sa supériorité et sa force en tant que mâle et humain, grâce à la loi de la relativité, j’éprouve une indicible satisfaction de ma petitesse plus concrète qu’avant, de ma vulnérabilité authentique et visible, de ma modestie sincère et innée, de mon évidente infériorité à l’échelle de l’évolution des espèces, à laquelle fait maintenant place ma féminité d’autrefois, cette douceur feinte et démodée, cette chose compliquée, de moins en moins saisissable pour un homme et aussi pour une femme, de moins en moins possible, cette imbécillité à la fois contestée et recherchée, à la fois rejetée et regrettée. Je me félicite de ma renaissance un peu décadente si on veut le croire, apparemment peu prometteuse, mais qui m’assurera, telle une récompense naturelle, j’en suis persuadée par l’expérience de mes autres vies, une capacité d’idolâtrer, un pouvoir de séduire, une possibilité de rendre A. plus viril, plus à son aise, plus amoureux, en le laissant triompher sur moi.
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Sa journée de travail terminée, son cerveau souffrait de devoir s’arrêter tout net. Parfois je m’enfuyais dans la salle de bains pour y rester longtemps, jusqu’à ce qu’il oublie la suite de ses mots, qu’il laisse tomber les réussites et les peines du jour, que sa tête entre dans la phase de repos.

Les paroles qu’il crachait en rentrant à la maison occupaient mon espace mental puisque je n’étais pas sourde, empoisonnaient le silence, et m’empêchaient de respirer.

L’avantage de ma transformation est donc évident. Je suis devenue presque muette, pas du tout audiovisuelle. L’humanité est encore supportable pour nous les chats, parce que nous ne l’écoutons plus, nous la regardons à peine. A. ne peut plus me parler, ni me reprocher de me désintéresser de lui parce que je n’aime pas les paroles, aucune parole, pas seulement les siennes.
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Aujourd’hui on ne me voit pas dans mon fauteuil.

On ne me trouve plus.

D’habitude, j’y restais aussi longtemps que possible, après des courses, avant que A. ne revienne du travail.

Je me figeais là comme une statue, une poupée, je m’y accrochais, tant le désintérêt de toute action, l’angoisse de rencontrer des gens, des regards surtout, mais aussi des paroles, la conscience de ma nullité et la peur de me ridiculiser davantage me paralysaient. Ce fauteuil m’était un support, un bateau, une branche ou une paille flottant dans le tourbillon du monde de A., dans cet océan de lumière, de bruits, de formes et de voix changeantes, insaisissables, et cependant les mêmes, ennuyeuses et inertes – cette contradiction, je ne saurais jamais la décrire comme il faut, jamais la comprendre, dans laquelle j’éprouve du vertige et je risque de suffoquer.

Enfin, je me suis découvert un refuge qui convient mieux à ma nouvelle forme que je trouve plus gracieuse, plus souple, moins fragile et, pour une fois, plus volumineuse grâce à une abondance de poils gris noirs. Je suis aussi contente de ma couleur, assez neutre, pas très visible.

C’était une naissance, un pur hasard. Je n’ai rien eu à faire, pas eu l’occasion de choisir. Mais on ne choisit jamais rien. On reçoit et on assume, tout en ayant l’impression de choisir, de vouloir. Et me voilà revêtue d’une élégance discrète et pourtant nue.
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Quel soulagement de n’avoir plus rien à faire que de jouer, de contempler, de paresser, de faire une sieste à midi, de vivre comme au commencement de la vie et aussi comme à la fin du monde, sans projet d’aucune sorte, sans jamais de hâte, l’air clochard, dans l’abandon, dans le présent uniquement. Je suis convaincue que je suis en train de vivre la meilleure de toutes mes existences.
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Mes oreilles sont assez bonnes, j'entends tout, mais elles sont fermées aux paroles. Les mots comptent peu pour moi. Il me faut un autre langage.
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