- [ Oscar Wilde] Sait- il qu'il est toujours lu et joué au théâtre ? Que son œuvre connait vraiment un grand succès ?
- Il dit : " Que voulez- vous que ça me fasse , je ne touche plus de droits d'auteur."
- On dirait Guillaume Charal ! s'exclama Belvédère.
- Qui ça ? demanda Yann Moite.
- Guillaume Charal, un illustre inconnu à qui j'ai eu la faiblesse d'accorder un peu de mon attention, à ses débuts, et qui m'a chié dans les bottes au moment de mon manifeste sur les putes. Il m'a écrit une lettre ouverte dans 'Libé' et 'Rue 89'. C'est un auteur pauvre et méconnu qui envie les auteurs comme nous : riches et célèbres.
- Je ne le connais pas mais j'ai bien aimé sa réaction à votre égard, dit Christine Légo. Si j'avais été un homme, je vous aurais cassé la gueule au moment du manifeste.
- Chère Christine, j'ignore si vous n'êtes pas un homme, mais je n'ai aucune preuve que vous soyez une femme.
Yann Moite, renfrogné, se fustigea en son for intérieur de ne pas avoir décoché ce trait d'esprit le premier.
(p. 113-114)
Francesco avait découvert que la jalousie entre écrivains était le pire fléau de ce microcosme condescendant, étriqué, auto satisfait, imbu de lui-même, où tout le monde se connaissait et se cooptait sans se lire et en faisant semblant de s'apprécier. C'était la conjuration des hypocrites.
La première phrase d'un roman est la plus importante, dit-on.
Nous voilà débarrassés.
Le cynisme apparent de Belvédère [ F Beigbeder ] n'était qu'une façade. Le personnage d'alcoolique drogué qu'il s'était crée, une illusion. Dans l'intimité, il mangeait des Carambar et buvait du thé vert.
"L'édition, à l'instar du 7e art, était devenu une industrie qui produisait du formaté. Les récits étaient calibrés scénarisés, pour devenir bankable. Bankable or not bankable. That is the question. The only one. Le reste n'était que branlette d'intello casse-bonbons." (p.37)
Conduire une voiture de sport de nos jours est un non- sens , avec tous ces radars ! Quand j'étais jeune , vous auriez dû voir ça. Nous ne portions pas de ceinture de sécurité. Bon, d'accord, ça a tué Nimier et Camus, vous me direz. Et Sagan a failli y passer. Mais on mourait en Aston Martin, à l'époque. C'était la classe !
La présence des hommes lui manquait. L'idée de passer une autre journée avec ses collègues écrivains l'étourdit d'avance.
[Delphine] devait trouver un moyen de filer à l'anglaise. Sans dire au revoir, comme au cours d'une soirée où c'était le meilleur moyen de se faire accrocher : 'Vous partez déjà ?' Dans ces cas-là, elle avait envie de répondre : 'Oui, j'en ai marre, la musique est à chier, votre conversation m'ennuie, j'ai envie d'être seule, chez moi, au calme.'
Yann Moite venait de publier 1 000 pages sur sa propre mort. Mille pages de pas grand chose sur pas grand chose, donc, mais mille pages tout de même, quel exploit ! Mille pages publiées chez un éditeur qui avait pignon sur rue. Mille pages qui lui avaient servi à régler ses comptes avec son père. Des histoires de mort qu'on a devant soi, tandis qu'on aurait sa naissance derrière soi. Ça n'avait pas beaucoup de sens mais qui s'en souciait ?
Comme Christine Légo avec son père et Michel Ouzbek avec sa mère, écrire lui coûtait moins cher que d'aller chez le psy. Et ça avait marché ! La chance avait joué en sa faveur. Elle ne suffisait pas à assurer le succès, mais il fallait en avoir. Aller la chercher, la provoquer. Et être opportuniste.
Yann Moite regrettait parfois ses jeunes années, quand il écrivait des histoires d'amour d'inspiration romantique. Il se revoyait marcher fiévreusement, manuscrit sous le bras, depuis la porte de Clignancourt, où il habitait, jusqu'à Saint-Germain des Prés, pour présenter son oeuvre aux éditions Grassouillet. Il vibrait, à cette époque. Il y croyait. Mais il fallait se montrer raisonnable, ce n'était pas avec deux mille exemplaires vendus qu'il allait passer à la télé.
(p. 72)
L'alcoolisme est partout. C'est même la seule chose que les pauvres et riches ont en commun.