C'est ce qui donne du sel aux choses. Le goût à l’ennui. L'odeur aux plats. Ah laissez-moi donc manger de ce qui me plaît et me convient.
De tous les suicides possibles la pendaison est le plus triste parce qu’il révèle un abandon pire qu’aucune autre mort. La balle dans la tempe tue un infréquentable adversaire. Répare un tort. Grandit le mort. Le feu le sanctifie. L'eau lui donne un nouveau baptême. Mais on se pend parce qu’on se méprise, vieille guenille, objet de rebut.
Le péché c’est le mépris. C'est de faire tort à l’autre. C'est de ne pas lui donner sa chance.
Je préfère l’effacement au paraître, et très tôt je me suis aperçu, pour rôder, pour fureter, qu’il valait mieux ne pas me faire voir.
Les semaines qui suivent, ou les mois, sont consacrés à mes dernières volontés dans ce monde d’ombres. Mais les ombres, les apparences, leurs parfums ne me trompent pas.
Bien vieillir ne consiste pas à faire le catalogue de mes mauvaises rencontres.
On se réveille un matin avec moins d’appétit pour la journée, on laisse aller quelques besognes comme une fille laissait filer un bas quand j’étais jeune, signe visible de négligence. On entame moins tôt ses repas, on les termine avec peine. On dort peu, on se couche en craignant l’insomnie. La fatigue est de la partie. Reste le désir de répandre une bonne odeur, comme tel modèle révéré. Et plus loin que lui, comme les élus... Et l’odeur vient. O seule odeur souhaitable ! Ce n’est plus l’odeur seule des invitées, sexes ensalivés, hydromel de l’ombre ! Ce n’est plus l’odeur des hôtesses ou des annonceuses au musc lent à fuir ma peau ! Cela provient de plus profond, d’avant, de plus constitutif de celui qui est moi, minuscule rumeur encore, relent à la surface de la terre.
Et elle rit comme on dit que le diable rit. Elle rit dans son odeur qui soûle, dans ses bouffées, sa touffeur. Quoi qu’elle me propose pour la suite, je sais que je n’aurai ni la force ni l’envie de lui résister.
Cette nudité rend les corps humains plus visibles, plus présents, « plus nus », dit Monsieur Vailland. Il pourrait dire aussi : « plus livrés ». Elle a encore d’autres effets. Ainsi révèle-t-elle l’austérité, la rigueur, la « maigreur » du maître de maison. Et par l’effet du contraste, l’extrême générosité du même maître, l’ampleur de son cœur, la qualité de sa volonté.
Dans une époque comme la nôtre, sans courage, sans audace, sans défi, l’auto, la vitesse, la course, c’est la survivance du duel.