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Critique de Bastien_P


Riche et novateur

Voici typiquement le genre de chroniques que je redoute. Comme Asimov ou Egan avant lui, Liu Cixin fait partie des auteurs qui me frustrent. Les idées sont là, originales, grandioses, rigoureuses, présentées avec clarté et logique (même pour les plus scientifiques d'entre elles) ; des promesses d'évasion et de réflexion profonde. Seulement, le style ne suit pas. Ses lignes m'ont trop rarement emporté, ému. Les personnages, et en particulier leurs dialogues, sont peu crédibles, souffrant d'une carence d'empathie et d'humanité. Ils m'ont souvent fait l'effet d'entités aux traits humains, mais en retrait, attentistes, incapables de s'intégrer vraiment à notre espèce, pourtant au coeur des préoccupations de ces nouvelles.
J'ai longtemps creusé, à la recherche des émotions d'intervenants résignés. En vain. Les miennes n'ont naturellement pas décollé. La SF n'a pas à être aussi froide et déshumanisée, nom d'un pulsar !

Des descriptions contemplatives aux accents de poésie orientale (trop rares) maintiennent heureusement un intérêt pour la prose de Liu Cixin.
C'est lorsqu'il s'aventure dans le romantisme que l'auteur parvient à jouer sur d'autres leviers que la simple curiosité scientifique. Et là, ça réchauffe doucement la pompe aortique, ça prouve que derrière l'échange d'informations et la découverte de mécanismes cosmiques mystérieux, l'amour, les souvenirs ou encore l'honneur sont des vecteurs aussi pertinents que les chantiers titanesques imaginés.
Après la lecture de Terre Errante puis des deux premiers tomes de sa trilogie, j'avais déjà dans l'idée que Liu Cixin était meilleur pour les nouvelles que pour les longs formats. Les Migrants du Temps a largement conforté ce ressenti. Contrairement au Problème à trois corps et, surtout, à La Forêt Sombre, je n'ai jamais ressenti d'ennui ici. Actions et idées s'enchaînent à bon rythme, dans une vraie dynamique conceptuelle et créatrice. Nous ne sommes certes pas dans de la SF hyperactive où péripéties et combats spatiaux se succèdent – ici, contemplation et réflexion sont reines –, mais l'intérêt est constant, à l'image de l'évolution des personnages et de leur milieu. du bon divertissement et de l'émerveillement presque à chaque page. J'en veux pour preuve, je suis parvenu à lire ce pavé deux fois plus vite qu'à mon rythme de lecture habituel.

Pour aller dans le détail, tous les concepts développés par l'auteur dans ces nouvelles sont passionnants. Liu Cixin est réputé pour développer des mécanismes et des intrigues monumentaux, à l'échelle du globe, du système solaire, de la galaxie, de l'univers tout entier si nécessaire. Qu'il s'agisse d'enjeux très locaux (une ville, une province) ou d'une menace venue des confins du cosmos, l'auteur déploie des chantiers pharaoniques. Un délire de grandeur dans lequel on embarque sans mal, car la crédibilité scientifique est toujours au rendez-vous.
Bien sûr, on pourra se questionner sur l'origine et la gestion des ressources (énergie, matériaux) nécessaires à la tâche, mais eh, le créateur a bien le droit de s'affranchir de certaines contraintes pratiques, non ?
A contrario, ce dernier peut très bien justifier le siphonnage pur et simple de plusieurs étoiles pour alimenter un instrument de musique cosmique, détailler la boulimie d'un vaisseau envahisseur pour les ressources de la Terre, et ce sur plusieurs siècles, réfléchir aux répercussions inattendues de décisions se voulant écologiques ou humanistes, le tout dans un vaste et précis déploiement de données, de chimie, de mécanique élémentaire, de physique, etc.
Liu Cixin a toutefois la sagesse de ne pas s'aventurer dans l'aberration technique et énergivore du voyage spatial habité. Il laisse cela aux autres espèces rencontrées par les humains.
Enfin, lorsqu'il inscrit son récit dans un contexte politique, un cadre familial ou une simple relation entre penseurs contemplatifs, l'auteur offre un peu de place à l'humain. Comme je l'ai mentionné plus haut, il n'a pas les mots pour vraiment faire vibrer la corde sensible, mais il se passe tout de même quelque chose, un je ne sais quoi de vivant, un écho entre l'univers et l'âme humaine, qui dénote dans ce vaste ensemble de considérations purement factuelles.

J'ai été particulièrement sensible aux nouvelles impliquant la dimension temporelle. Qu'il s'agisse d'une lecture du passé et du futur par l'intermédiaire d'un programme de simulation, ou bien du voyage de quelques migrants grâce au sommeil cryogénique, l'auteur nous donne à voir les avantages et les inconvénients de l'omniscience, ainsi que de nouvelles sociétés, différentes à plus d'un titre.
L'intervention et le point de vue d'espèces extraterrestres n'évoluant pas dans le même milieu, n'obéissant pas aux mêmes règles que les terriens, rafraîchissent un peu les codes trop rebattus de la SF. J'y ai trouvé un peu de Robert Forward, en moins approfondi, certes, mais j'aime être surpris et bousculé de la sorte.

Un point m'a fait hausser le sourcil : les personnages sont tous dotés de connaissances scientifiques très poussées, d'une culture et d'une érudition ahurissantes (je pense aux chefs d'État dans L'Hymne à la Joie, entre autres) ; une nécessité narrative, compte tenu des enjeux qu'ils sont amenés à résoudre/comprendre, mais un manque cruel de réalisme.
Idem pour les personnages féminins, souvent perçus par le prisme d'un regard masculin focalisé sur des critères de beauté physique ; archaïque et lassant, comme déjà évoqué dans ma chronique de la Forêt Sombre.

Pour résumer, je dirais que les nouvelles de Liu Cixin regorgent d'idées géniales et intelligemment exploitées. Sans aller jusqu'à parler de hard-SF, il est difficile de prendre l'auteur à défaut sur tel ou tel élément scientifique. C'est solide, bien construit et bourré de considérations philosophiques.
Comme dans La Forêt Sombre, je déplore simplement un style froid et lisse où amertume, tristesse et aigreur dominent largement le large spectre d'émotions qui auraient pu être soulevées. J'imagine que cette atmosphère sombre correspond au regard très réaliste que l'auteur porte sur l'espèce humaine et sur ce qu'elle fait de son foyer. C'est en tout cas ce qui m'a manqué pour faire passer ce livre de petit bijou à chef-d'oeuvre intemporel !
Merci pour votre lecture.
Lien : https://editionslintemporel...
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