Sa vision se trouble, ses yeux n'arrivent plus à capter la lumière. Il voit du gris, il voit du noir, il voit des images sombres qu'il voudrait oublier, mais qui profitent de sa faiblesse pour remonter à la surface et torturer son esprit abîmé. Le blast. Les émotions reviennent. Il ressent la faim qui le consume, la peur qui l'envahit, il éprouve de la haine, il perçoit le craquement grinçant d'une vertèbre, il respire une odeur de mort qui se faufile dans ses poumons jusqu'à provoquer une envie de vomir, cette fois bien réelle. Un sifflement brouille son ouïe, il entend son pouls, son souffle, et ce cri qui depuis trop longtemps le hante, toujours aussi glaçant, toujours assourdissant.
L’animation incessante de la journée a laissé la place à un silence pesant, parfois brisé par un râle involontaire ou par le son piquant d’une machine. Une odeur de vinaigre, légère mais acide, indique que le ménage a été fait.
Léa Veyrac a réduit l’alimentation des barres de néon. Elle avance dans un long couloir qui s’enfonce désormais dans l’obscurité. Les issues sont signalées par des leds discrètes, rouges pour les sorties, vertes pour les accès aux autres secteurs des urgences. Si nécessaire, un nouveau chemin lumineux peut s’éclairer d’une simple commande vocale, et conduit directement aux blocs opératoires.
La voie lactée irradie le ciel nocturne et coiffe la ville d’une couronne incandescente. Dans les rues, la circulation a disparu avec le jour, les ombres ont remplacé les couleurs ; la clarté timide de quelques dynamos ne peut concurrencer les objets célestes qui s’expriment librement. Aucune lumière ne s’échappe des immeubles aux fenêtres ouvertes, mais des rires, un peu de musique, parfois des sons de plaisir ou de douleur. Des convois mécaniques pénètrent dans la cité et embrasent les gares éteintes, mais ces serpents furtifs s’effacent aussi vite que des étoiles filantes. Seul un bâtiment rayonne encore, tel un phare timide gêné d’imposer son éclat : l’hôpital ne s’endort jamais.