J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus.
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De mon cartable, je mesure la distance à courir pour dresser une chambre où dormir signifie continuer et non plus interrompre. En quittant le cours de Monsieur Scott, je longe une école de quartier pour voir les enfants apprendre et l’institutrice les suspendre, magicienne en questions. Il me semble alors que le savoir peut guérir. Que lire, écrire, traduire, c’est reformer le sein, étaler l’origine, aérer le fumier d’où sortiront les fleurs derrière chaque tort redressé. Il en va de cette colonne ancienne comme les chevreaux qui naissent : sitôt à terre, déchiffrer, l’échine aveugle, le pacte encore tendre. Il me tarde d’avoir des élèves et de faire leurs preuves.
Je voulais une mère avec des épaules pour poser mes joues brûlantes.
je voulais un père avec une voix pour m'interdire de faire des grimaces à table.
Je voulais un chien avec un passé de chat pour ne pas oublier qui j”étais.
]e voulais un professeur pour me surprendre.
je voulais des livres pour construire une cabane à la cime des arbres.
je voulais être un homme pour sentir ce que ça fait d'être une histoire.
Je n'ai pas eu tout ce que je voulais mais
je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d'avant.
Je tombe rond; mon compte est bon.
P63
Les mots marchent sur mes mots, je couve un silence donc je ne peux rien faire, à part apprendre. Pour fatiguer la ronce.
p36
J'avance dans le noir je pousse pour me donner des yeux, la ferme derrière moi que j'aimais.
p42
Mme le Juge ne sait pas que l'autre livre est sur mes yeux, entre les choses et mon chagrin, écrit pour dire où je vais, là où personne ne répond.
P69
Qui croire, si les coups me privent à présent de l'eau qui m'assoit et de la terre qui m'élance ?
p36
Je couvre Maman de mes mains, je l'entoure de mes bras, j'étends mon corps sur le sien pour absorber les coups qui pulvérisaient nos Légos.
Je deviens son éponge. Je me tords à sa place.
Je suis fière de la protéger.
P35
Page 21
Parfois, je mets le réveil très tôt avant de m’endormir, même si cela ne sert à rien – je ne dors plus, mes yeux ouverts ne s’arrêtent jamais. A six heures, je fais semblant de me réveiller, j’ouvre les volets, je descends prendre le petit déjeuner sur le pouce ; je traverse la cour, j’ouvre le portail et je m’accroupis près des poubelles ; j’attends qu’ils viennent me charger ; Pour l’instant, ils refusent, jurent que je ne suis pas aux normes européennes, mais qu’un jour peut-être, si je veux bien changer, ne plus me laver et mettre mon histoire dans un grand sac à part, ils me chargeront avec leurs bras faits pour les ordures.
"Chaque sourire me soutient que la vie est bonne, qu'il ne faut pas toujours chercher à comprendre mais relever les cœurs tombés."