C’est la réalité : j’écoute Brad Mehldau…
C’est la réalité : j’écoute Brad Mehldau
Jouer dans un théâtre abandonné. Les sièges
Vides, autour de lui, capitonnés de pourpre,
Figurent l’autre scène, ancestrale. À nouveau
L’accord en mi, mais la nuance un peu plus triste
Comme quelqu’un qui erre au milieu d’une foule
De masques muets, consternés, pli orphelin
D’un poème oublié dans les rondes du gris.
La nuit tombe, à présent. Je rêve qu’on me rêve.
Les notes qui me fuient ont brisé leur clarté.
Je ne les comprends plus, mais je les aime encore.
Pianiste et partition tout à la fois, je suis
Pierrot lunaire, la foule et son personnage.
Je ne sais plus si nous sommes vivants ou morts.
I.
Depuis combien de temps avons-nous fait la queue
Dans cette épicerie… ? Et de quoi ai-je l’air ?
D’un brontosaure égaré dans la porcelaine
De sa méditation, ou d’un porteur d’affreux
Présage ; ayant quitté le rayon des ciguës
J’avance socratique au milieu des desserts
Client désemparé sous des regards de haine,
En territoire de chasse, entre les vendeurs
Et la caissière, une main sur le pain de mie,
Une autre à fouiller dans mes poches ennemies
Pour y trouver du ciel, des souvenirs de pluie…
(Ce n’est pas voir ton visage qui tant me manque,
Mais le toucher, oui, car il y a du chamane
Dans la caresse et un goût de miel sur nos âmes)
23 avril 2020