Joyce MANSOUR La femme surréaliste (France Culture, 2005)
Lémission « Poésie sur parole », par André Velter, diffusée le 4 septembre 2005.
Le soleil dans le capricorne
Trois jours de repos
Pourquoi pas la tombe
J’étouffe sans ta bouche
L’attente déforme l’aube prochaine
Et les longues heures de l’escalier
Sentent le gaz
À plat ventre j’attends demain
Je vois luire ta peau
Dans la grande trouée de la nuit
Le balancement lent d’un beau clair de lune
Sur la mer intérieure de mon sexe
Poussière sur poussière
Marteau sur matelas
Soleil sur tambour de plomb
Toujours souriant ta main tonne l’indifférence
Cruellement vêtu incliné vers le vide
Tu dis non et le plus petit objet qu’abrite un corps de femme
Courbe l’échine
Nice artificielle
Parfum factice de l’heure sur le canapé
Pour quelles pâles girafes
Ai-je délaissé Byzance
La solitude pue
Une pierre de lune dans un cadre ovale
Encore un poignard palpitant sous la pluie
Diamants et délires du souvenir de demain
Sueurs de taffetas plages sans abri
Démence de ma chair égarée
Je cherche collectionneur de rêves pour échange....
La chouette bête des bois sombres
M'a appris
Que la vérité n'est plus la vérité
Sans ses voiles
Qu'il ne faut pas écouter la mélodie de la vie muette
Sans savoir l'entendre
Que la solitude modifie toutes les voix
Même celle de la haine
Que la lente douleur
Des paysans sans labeur
S'achète et se mange comme du pain
Que l'hostie souffre
Dans la féroce maladresse de l'appareil intestinal
Et surtout comment porter la fierté sur son dos
Sans avoir l'air
Bossu
Vous ne connaissez pas mon visage de nuit
Mes yeux tels des chevaux fous d'espace
Ma bouche bariolée de sang inconnu
Ma peau
Mes doigts poteaux indicateurs perlés de plaisir
Guideront vos cils vers mes oreilles mes omoplates
Vers la campagne ouverte de la chair
Les gradins de mes côtes se resserrent à l'idée
Que votre voix pourrait remplir ma gorge
Que vos yeux pourraient sourire
Vous ne connaissez pas la pâleur de mes épaules
La nuit
Quand les flammes hallucinantes des cauchemars réclament
le silence
Et que les murs mous de la réalité s'étreignent
Vous ne savez pas que les parfums de mes journées meurent
sur ma langue
Quand viennent les matins aux couteaux flottants
Que seul reste mon amour hautain
Quand je m'enfonce dans la boue de la nuit
Donnez-moi un crâne épars sur le parquet
J'en ferai une descente aux flambeaux
Dans la fosse des passions durables
Donnez-moi un château mammaire
Je plongerai tête-bêche riant au suicide
Donnez-moi un grain de poussière
J'en ferai une montagne de haine
Chancelante et grave un arcane
Pour vous enterrer
Donnez-moi une langue de haute laine
J'enseignerai aux seigneurs
Comment briser leurs dieux de craie
Leurs pénis édentés
Aux pieds du grand corbeau blanc
Pourcroâ ?
Une nuit de silence intact, elle rêva qu'elle se trouvait au fond d'un copieux désert.
Des lions à tête humaine rôdaient aux confins de la terreur, un vent sans bras ni jambes excitait les vaguelettes de sable.
L'air était clair, la lune brillait sur les montagnes de glace et cette lumière sans ombre enflammait les couleurs..
Dans chaque coquillage,sous chaque pierre, un scorpion dardait sa queue d'azur ; des animaux caoutchoutés de spleen et de mousse traînaient leurs
ventres d'arbuste à arbuste à !a recherche d'un trou d'eau ou d'un
poisson de terre qui pourrait connaître un trou d'eau.
UNE FEMME CRÉAIT LE SOLEIL…
Une femme créait le soleil
En elle
Et ses mains étaient belles
La terre plongeait sous ses pieds
L’assaillant de l’haleine fertile
Des volcans
Ses narines palpitaient ses paupières se baissaient
Empesées par le lourd limon de l’oreiller
C’est la nuit
Et l’égratignure tranquille où meurt le vide haletant
Se bat se débat s’ouvre et doucement se ferme
Sur la verge dodelinante de Noé l’explorateur

La cuirasse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J’irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d’un lourd sanglot
Je m’étendrai à plat ventre
Sur l’aile d’un bombardier
Et j’attendrai
Quand le ciment brûlera sur les trottoirs
Je suivrai l’itinéraire des bombes parmi les grimaces
de la foule
Je me collerai aux décombres
Comme une touffe de poils sur un nu
Mon œil escortera les contours allongés de la
désolation
Des morts brasillants de soleil et de sang
Se tairont à mes côtés
Des infirmières gantées de peau
Pataugeront dans le doux liquide de la vie humaine
Et les moribonds flamberont
Comme des châteaux de paille
Les colonnades s’enliseront
Les astres bêleront
Mme les pantalons de flanelle s’engloutiront
Dans l’espace géant de la peur
Et je ricanerai dents découvertes violette d’extase
dithyrambique
Hystérique généreuse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J’irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d’un lourd sanglot

Connais-tu la vieille femme qui veille
A la porte de la mort
Elle arbore une perruque couleur de cafard
Dans sa bouche niche une dent de cheval
Fruit de la rancune
Cadeau du vent fou
Je ne sais
Elle troue sa langue de sa point acérée
Si elle mange elle renaît dans l'enfer des affamés
Prix à payer à la chance qui, elle, porte un râtelier
Inaccessible à la maladie
Esclave d'un esclave
Elle connaît le chemin du retour
Mais ne saurait s'y rendre
Car ses jambes coupées se fanent dans un vase
Et sa bouche pleine de boue
Rit le rire maniaque des fèves d'Istanbul
Elle glisse glisse d'un rêve à l'autre
Dans le sommeil granitique
De la tombe
Connais-tu l'odeur de la boue
Qui suinte entre ses dents pourries
Ces dents piliers de basalte
Érodées par des vagues de viande
Dents de la vieille femme qui veille
A la porte de la nuit
Elle couvre nos morts de sa langue sucrée
Malaxant ceux qui hier encore oui seulement hier
Parlaient haut marchaient droit
Dans la vase gluante de sa salive mortifère
Elle retient son souffle quand le vent solaire s'abat
Du haut de la montage
Dans sa bouche la boue devient poussière
Vite avalée avant la prochaine grande marée
De boue
Et l'homme dit à l'homme
Pourquoi coulez-vous si tranquille
Et l'homme répondit à l'homme
Vous coulez vite et moi lentement
Malgré cela nous nous enfonçons tous deux
Chacun dans son abysse assigné
Voilà tout
En maillot de bain sur la plage, télescope en main, l’assassin, par un heureux hasard, repéra Marie et sauta dans une barque de location. Il approcha à grands coups de rame, les yeux globuleux de plaisir, la bouche pleine d'un clapotis animal, un lourd serpent noir pendant hors de son nombril.
Marie crut qu’il était envoyé de Dieu. "Je me noie", gargouilla-t-elle. L'assassin se jeta à l'eau et répondit avec tristesse : « Tu es mon ombre, ma lumière. A nous deux. — Je me noie », hurla Marie, son âme singulière adossée à une peur immense. Elle flottait entre deux eaux, les membres mous, résignée à une mort précoce.
"Je me noie," répéta-t-elle faiblement aux mains de l’assassin qui erraient sur son corps comme des crabes.