...c'est bien un mot de la ville, ça, la nature. Vous en avez une idée si abstraite que même son nom l'est. Nous, ici, on parle de bois, de pré, de torrent, de roche. Autant de choses qu'on peut montrer du doigt. Qu'on peut utiliser.
- Toi, tu es celui qui va et qui vient, moi je suis celui qui reste. Comme toujours, pas vrai ?
Le peu de règles que j’avais à suivre était clair : un, on prend un rythme et on le tient sans s’arrêter ; deux, on ne parle pas ; trois, aux croisements, on choisit toujours la route qui monte.
Quel que soit notre destin, il habite les montagnes au-dessus de nos têtes.
Les choses qu'on ne peut pas utiliser on ne s'embête pas à leur chercher un nom, parce qu'elles ne servent à rien.(p129)
C'était à Mark Twain que je devais mon amour pour les fleuves.
Si l’endroit où tu te baignes dans un fleuve correspond au présent, pensai-je, dans ce cas l’eau qui t’a dépassé, qui continue plus bas et va là où il n’y a plus rien pour toi, c’est le passé. L’avenir, c’est l’eau qui vient d’en haut, avec son lot de dangers et de découvertes. Le passé est en aval, l’avenir en amont. Voilà ce que j’aurais dû répondre à mon père. Quel que soit notre destin, il habite les montagnes au-dessus de nos têtes.
Pour mon père la forêt n'était rien d'autre qu'un passage obligé avant la haute montagne : nous la remontions tête baissée, concentrés sur le rythme de nos jambes, de nos poumons, de notre cœur, dans un corps-à-corps muet avec notre fatigue. Nous piétinions des cailloux que le passage séculaire des bêtes et des hommes avait polis. Il nous arrivait parfois de passer devant une croix en bois, ou une plaque en bronze avec un nom, ou une petite chapelle avec une madone et quelques fleurs, lesquelles donnaient à ces coins de forêt la gravité d'un cimetière. Alors le silence entre nous prenait un autre sens, apparaissant comme la seule façon respectueuse de passer.
...Si je vais vivre dans les bois, personne ne me dira rien. Si une femme le fait, on la traitera de sorcière. Si je me taisais, quel problème ça ferait? Je ne serais qu'un homme qui ne parle pas. Une femme qui ne parle pas est forcément à moitié folle.
Tout le monde n'est pas de cet avis, mais ma mère croyait dur comme fer qu'il fallait intervenir dans la vie des autres.