Impersonnel. On devient un numéro. Une bagnarde parmi les autres.
On nous le rappelle en permanence, qu’on est rien, qu’on appartient à l’Etat.
J’ai souvent peur d’être une mauvaise mère, pas à la hauteur, de mal faire les choses. De ne pas voir l’évidence. J’ai beau lire et relire le Guide de la future maman, je crois qu’être mère ne s’apprend pas dans un manuel. Et que, en fait, on n’est jamais vraiment prête.
La fouille. Les portes en métal qui claquent. Le bruit des trousseaux. Un environnement déjà trop familier auquel je ne prête plus attention.
A la fin, on m’a octroyé des vêtements abandonnés, repêchés au Secours catholique. Je me sens désormais comme étrangère à moi-même.
Je m'assois de nouveau sur mon lit et la fixe, tétanisée. Je réalise la responsabilité qui m'engage désormais vis-à-vis de ce petit être. Ma responsabilité de l’accompagner à chaque étape au fil des mois et des années, de prendre soin d'elle, sans l’étouffer, ni l’oublier. Les premiers mois sont les plus sensibles. Ses organes, son corps. Tout est fragile, infime.
Vais-je être à la hauteur?
Vivre en permanence dans l'angoisse? p. 175
J'ai souvent peur d'être une mauvaise mère, pas à la hauteur, de mal faire les choses. De ne pas voir l'évidence. J'ai beau lire et relire le guide de la future maman, je crois qu'être mère ne s'apprend pas dans un manuel. Et que, en fait, on n'est jamais vraiment prête.
La seule chose à regarder, c'est le ciel. Ce ciel bleu parfois chargé de nuages. La seule porte ouverte vers le monde. Se souvenir qu'il existe un ailleurs. On a tendance à l'oublier
Vous allez avoir souvent envie d’uriner, les seins qui vont gonfler et picoter, une aréole autour du mamelon plus foncée, des lignes bleues et roses sous la peau, envie de grignoter… Tout cela est parfaitement normal. Je transmets aussi les papiers nécessaires à votre sécurité sociale.
Le lendemain, après avoir rassemblé mes effets personnels, je suis reconduite dans l’autre quartier, celui de la détention provisoire, sans femmes enceintes, sans enfants.
La réalité me percute de plein fouet. Comme un violent carambolage. Nouvelle cellule. 145. Les murs sont inlassablement sales, avec l’odeur de merde, de pisse, des graffitis maladroits, des rats le long des coursives et des punaises dans les matelas entassés les uns à côté des autres. Et constamment cet air glacé qui file à travers les barreaux. J’avais presque oublié cet endroit. Comme si c’était une autre vie.
Je veux prolonger ces minutes-là pour l’éternité.
Alors j’embrasse ma fille sur le front et je la serre fort contre moi. Des larmes coulent sur mes joues.