La première hémorragie de la mémoire s’était déjà produite en moi, ou peut-être n’était-ce que la fatigue, une question de perception. Mon oncle se tenait tapi à la limite de mon champ de vision, où il murmurait des choses. Quand j’ai fermé les yeux et que j’ai appuyé mes paumes sur mes paupières, j’ai vu des étoiles. Et même quand j’ai retiré mes mains, j’ai senti quelque chose qui bougeait dans ma tête. Je me suis encore jeté de l’eau sur le visage. J’ai secoué la tête comme s’il s’agissait d’une de ces ardoises magiques qu’on secoue pour effacer les images. Mais, à la limite de ma conscience, un autre personnage me surveillait toujours.
Un après-midi, alors qu'on allait chercher Ernie, j'ai dit à Honey : « Peut-il y avoir un salut dans un monde sans dieu ? » et elle m'a dit : « Bien sûr, je pense que tu n'as qu'à te sauver toi-même, Frank. » Puis, exactement du même ton, elle m'a dit qu'elle allait faire partie de l'équipe de bowling.
J'ai dit : « C'est difficile de croire que notre sécurité nationale est fondée sur une politique d'annihilation mutuelle et totale avec les Russes. Notre existence est assurée par un arsenal qui pourrait tuer toute créature vivante sur la planète sauf les cafards. »
Honey a dit : « Ne lutte pas contre le bonheur, Frank. »