77 poèmes en 7 pieds... suite

"Préface
Brigitte CHARNIER

Au-delà de la forme qui relève de l’exercice de style (77 poèmes rimés de 7 pieds chacun), le recueil de Didier Colpin trouve son intérêt dans le regard qu’il porte sur l’homme, plus précisément sur la condition humaine, titre qu’il attribue du reste à un de ses poèmes « Cette humaine condition ». D’emblée, il la place sous le patronage d’Abel dont l’histoire a conditionné l’homme à vivre sous le signe du meurtre, de la guerre, loin de la paix. À partir de ce constat, Didier Colpin décline les différents maux dont sont atteints les êtres, échecs, désillusions, insignifiance de la parole, cynisme, absence d’humanité. Si Caïn n’est jamais mentionné, son ombre plane sur l’ensemble des textes. En effet, dans le mythe d’Abel et Caïn les deux frères représentent les deux faces de l’homme : la jalousie et le crime d’un côté et, de l’autre, l’innocence et l’amour. Et cet antagonisme, nous le retrouvons tout au long du recueil. Tantôt est mise en lumière la face sombre de l’homme, tantôt le poète relève l’ambiguïté de la nature humaine. Mais, au-delà du mythe, ce qui préside à la cause première de cette douloureuse condition est le constat que, dès sa naissance, l’homme est condamné à mourir et, plus précisément, que toute sa vie il cherchera à éviter l’inéluctable. Le regard que porte donc Didier Colpin, est un regard sociétal. Mais politique parfois, lorsqu’il aborde la suprématie de la vérité d’État, la manipulation de l’histoire au détriment de l’individu. Et si, à prime abord, le poète semble détaché de cette condition, sa distanciation n’est pas exempte de sentiments. Ainsi de la tristesse qui s’empare de lui face à cet état de fait l’incluant dans le tourbillon de la condition humaine. L’homme peut-il alors être sauvé ou se sauver lui-même ?

La réponse se trouve dès le deuxième poème ainsi que dans d’autres poèmes, disséminés çà et là, tout au long du recueil. L’homme s’enfermant dans sa bulle arrive à échapper à l’horreur de sa condition ce qui nous renvoie à la face lumineuse du mythe de Caïn et Abel. Bulle de l’enfance, bulle de l’innocence, ou bulle de l’amour salvateur. L’amour, fraîcheur et bonheur, qui se vit dans un monde hors de l’ordinaire, un monde idéalisé qui fait mieux supporter la condition humaine. L’amour rempart contre le monde. Didier Colpin, qui reconnaît vivre également ces expériences, met aussi en avant la puissance du rêve qui permet d’atteindre le bonheur, tout comme les souvenirs qui, même condamnés à l’oubli, deviennent cicatriciels. Néanmoins, une résurgence est toujours possible grâce à la beauté des souvenirs propres à chacun, malgré le temps destructeur, malgré la mort, ultime fin qui referme notre vie comme on referme un livre.

En filigrane apparaît alors le rôle du poète : dévoiler la condition humaine dans ses multiples facettes, ce que n’a eu de cesse Didier Colpin tout au long de ses textes. Et si le recueil s’ouvre sur la souffrance qu’engendrent l’échec et la désillusion et se ferme par l’évocation de la mort vers laquelle nous nous dirigeons inexorablement, le poète rappelle que, même s’il consacre une cinquantaine de poèmes environ à la triste condition humaine, nous pouvons l’adoucir par l’empathie et la bienveillance. « L’espoir luit comme un brin de paille » écrivait Verlaine dans Sagesse. Avec Didier Colpin, retrouvons le brin de paille qui adoucira « Cette humaine condition ».

B.C. janvier 21

Brigitte CHARNIER, Docteure es lettres, Présidente des Éditions Sciriolus, coordinatrice de la revue « Poésie vivant magazine » est membre de la Société des Poètes Français.

Elle se définit comme une activiste de la poésie en la diffusant sur des sites numériques, dans des revues papier, en proposant des rencontres poétiques mais aussi en la pratiquant par la mise en voix de ses sentiments et/ou situations douloureuses ainsi que par ses questionnements sur l’acte d’écrire. La thèse qu’elle a soutenue en lettres (Poétique et imaginaire d’une complainte de tradition orale : la complainte de la blanche biche) a mis en lumière la nécessité d’une approche comparatiste, historique, linguistique et mythique. Ses recherches portaient sur l’imaginaire (Université Stendhal Grenoble 3), particulièrement selon les trois axes suivants : la parole écrite et orale, les contes et les chansons de tradition orale, les hagiographies (vie de saints) et les pratiques liées aux croyances. Elle a participé à divers colloques ayant trait tant à la littérature et aux traditions orales qu’à la mythologie (Société de Mythologie Française) tout en participant également à des ateliers de chant de tradition orale (application pratique de sa thèse). Actuellement elle est chargée de rédiger deux articles pour un futur Dictionnaire des contes pour les éditions du CNRS sous l’égide de Jean-Loïc Le Quellec, l’un sur l’entrée « biche » et l’autre sur l’entrée « chanson populaire »."