Des formes noires gisaient, étaient accroupies, entre les arbres, ou assises le dos appuyé contre les troncs, s’accrochant à la terre, à demi visibles, à demi indistinctes, dans la pénombre, dans toutes les attitudes de la douleur, de l’abandon, du désespoir. Une nouvelle explosion fusa sur la falaise, suivie du frisson du sol sous mes pieds. Le travail continuait. Le travail ! Et c’était ici que certains qui y contribuaient s’étaient retirés pour mourir.
Je levai la tête. Le large était barré par un banc de nuages noirs, et le tranquille chemin d'eau qui mène aux derniers confins de la terre coulait sombre sous un ciel couvert - semblait mener au coeur d'immenses ténèbres.
Une longueur de fleuve s'ouvrait devant nous et se refermait derrière, comme si la forêt avait tranquillement traversé l'eau pour nous barrer le passage au retour. Nous pénétrions de plus en plus profondément au coeur des ténèbres.
Remonter ce fleuve, c’était comme voyager en arrière vers les premiers commencements du monde, quand la végétation couvrait follement la terre et que les grands arbres étaient rois. C’était l’immobilité d’une force implacable appesantie sur une intention inscrutable.
Au loin la mer et le ciel se joignaient invisiblement, et dans l’espace lumineux les voiles tannées des barges dérivant avec la marée vers l’amont semblaient former des bouquets rouges de voilure aux pointes aigües, avec des éclats de livardes vernies.
Le bord d'une jungle colossale, d'un vert sombre au point de paraître presque noir, frangé d'une houle blanche, courait droit comme une ligne tracée à la règle, loin, loin le long d'une mer bleue dont le scintillement était estompé par un brouillard traînant.
La conquête de la terre, qui signifie principalement la prendre à des hommes d'une autre couleur que nous, ou dont le nez est un peu plat, n'est pas une jolie chose quand on regarde de trop près. Ce qui la rachète n'est que l'idée. Une idée qui la soutienne, pas un prétexte sentimental mais une idée ; et une foi désintéressé en cette idée - quelque chose à ériger, devant quoi s'incliner, à quoi offrir un sacrifice.
C’était un marin, mais un vagabond aussi, alors que la plupart des marins mènent, si l’on peut ainsi s’exprimer, une vie sédentaire. Leur âme est casanière ; leur maison, le navire, est toujours avec eux et pareillement leur pays, qui est la mer. Aucun navire qui ne ressemble à un autre navire, et la mer est toujours la même. Dans l’immuabilité de ce qui les entoure, les rivages étrangers, les visages étrangers, la changeante immensité de la vie, tout demeure distant à leurs yeux, voilé non pas par le sens du mystère, mais par leur ignorance dédaigneuse : car il n’est rien de mystérieux pour un marin en dehors de la mer elle-même, qui est maîtresse de son existence et aussi impénétrable que la Destinée. Quant au reste, après les heures de travail, une flânerie fortuite, ou une bordée à terre a tôt fait de lui découvrir le secret de tout un continent et, généralement, il estime que le secret n’en valait pas la peine.
Nous vivons comme nous rêvons — seuls...
Je n’aime pas le travail, nul ne l’aime ; mais j’aime ce qui est dans le travail l’occasion de se découvrir soi-même. Notre propre réalité, ce que nous sommes à nos yeux, et non pas pour les autres, ce que personne ne peut savoir.
I don't like work... but I like what is in work - the chance to find yourself. Your own reality - for yourself, not for others - which no other man can ever know.