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Citations sur Au coeur des ténèbres (170)

Elles auraient été encore plus impressionnantes, ces têtes ainsi fichées, si les visages n'avaient pas été tournés vers la maison. Une seule, la première que j'avais distinguée, regardait de mon côté. Je ne fus pas aussi choqué que vous pouvez le penser. Mon sursaut en arrière n'avait été, réellement, qu'un mouvement de surprise. Je m'étais attendu à voir une boule de bois, comprenez-vous. Je retournai délibérément à la première repérée - et elle était bien là, noire, desséchée, ratatinée, les paupières closes - une tête qui semblait dormir en haut de ce piquet, et avec les lèvres sèches et rentrées qui montraient les dents en une étroite ligne blanche, souriait, aussi, souriait continûment de quelque rêve interminable et jovial dans son sommeil éternel.
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La grande muraille de végétation, masse exubérante et emmêlée de troncs, de branches, de feuilles, de rameaux, en festons, immobile au clair de lune, était comme une invasion folle de vie muette, une vague roulante de plantes, empilée, crêtée, prête à s'abattre sur la crique, à balayer chacune de nos petites humanités hors de sa petite existence.
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La conquête de la terre, qui signifie principalement la prendre à des hommes d'une autre couleur que nous, ou dont le nez est un peu plus plat, n'est pas une jolie chose quand on la regarde de trop près.
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Le jour finissait dans la sérénité exquise d'un éclat immobile. L'eau brillait doucement. Le ciel, qui n'avait pas une tache, était une immensité bénigne de lumière immaculée. Il n'était pas jusqu'à la brume sur les marais d'Essex qui ne fût comme une gaze radieuse accrochée aux coteaux boisés de l'intérieur et drapant les côtes basses de plis diaphanes. Seule la pénombre à l'ouest, appesantie sur l'amont du fleuve, s'obscurcissait de minute en minute, comme irritée par l'approche du soleil.
Enfin dans la courbe de son imperceptible déclin, l'astre, très bas, passa d'un blanc lumineux à un rouge terne sans rayons et sans chaleur, comme s'il allait s'éteindre d'un coup, frappé à mort par le contact de cette pénombre qui pesait sur une multitude d'hommes.
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La Tamise s'ouvrait devant nous vers la mer comme au commencement d'un chemin d'eau sans fin. Au loin la mer et le ciel se joignaient invisiblement, et dans l'espace lumineux les voiles tannées des barges dérivant avec la marée vers l'amont semblaient former des bouquets rouges de voilures aux pointes aiguës, avec des éclats de livardes vernies. Une brume dormait sur les côtes basses dont les aplats allaient s'effaçant vers la mer. L'air était sombre au-dessus de Gravesend et plus en deçà encore semblait condensé en triste pénombre et pesait immobile sur la plus vaste et la plus grande ville du monde.
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C'est une chose cocasse que la vie — cette mystérieuse disposition d'une logique implacable dans un dessein futile. Le mieux que l'on puisse en espérer est une certaine connaissance de soi — qui vient trop tard — et une moisson de regrets inapaisables. Je me suis colleté avec la mort. C'est le combat le moins passionnant qu'on puisse imaginer. Il se déroule dans une grisaille impalpable, sans rien sous vos pas, sans rien autour, sans public, sans clameurs, sans gloire, sans ce grand désir de vaincre, sans cette grande peur d'être vaincu, dans une atmosphère débilitante de scepticisme tiède, sans grande foi dans votre bon droit, et moins encore dans celui de votre adversaire. Si telle est la forme de l'ultime sagesse, alors la vie est une plus profonde énigme que ne le croient certains d'entre nous. Je me trouvai à un cheveu de la dernière occasion de m'exprimer, et je fis la découverte humiliante que je n'aurais probablement rien à dire.
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Non. Je restai pour rêver le cauchemar jusqu’au bout, et pour manifester une fois encore ma fidélité à Kurtz . La Destinée, Ma destinée ! C’est une chose cocasse que la vie – cette mystérieuse disposition d’une logique implacable dans un dessein futile. Le mieux que l’on puisse en espérer est une certaine connaissance de soi – qui vient trop tard – et une moisson de regrets inapaisables. Je me suis collecté avec la mort. C’est le combat le moins passionnant qu’on puisse imaginer. Il se déroule dans une grisaille impalpable, sans rien sous vos pas, sans rien autour, sans public, sans clameurs, sans gloire, sans ce grand désir de vaincre, sans cette grande peur d’être vaincu, dans une atmosphère débilitante de scepticisme tiède, sans grande foi dans vos bon droit, et moins encore dans celui de votre adversaire. Si telle est la forme de l’ultime sagesse alors la vie est une plus profonde énigme que ne le croient certains d’entre nous. (…)
Depuis que j’ai moi-même jeté un coup d’œil pardessus le bord, je comprends mieux le sens de son regard fixe, qui ne percevait pas la flamme de la bougie, mais était assez large pour embrasser l’univers entier, assez perçant pour pénétrer tous les cœurs qui battent dans les ténèbres. Il avait résumé – il avait jugé. « L’horreur ! ». C’était un homme remarquable. Après tout, c’était là l’expression d’une espèce de foi ; elle avait la franchise, elle avait la conviction, elle avait le ton vibrant de révolte dans son murmure, elle avait le visage épouvantable d’une vérité entr’aperçue – cette étrange mixture de désir et de haine. Et ce n’est pas ma propre extrémité que je me rappelle le plus distinctement – vision de grisaille informe remplie de souffrance physique, mépris nonchalant du cratère évanescent de toutes choses – jusqu’à cette souffrance même. Non ! C’est son extrémité à lui qu’il me semble avoir vécue. Il avait fait cette dernière enjambée, c’est entendu, il avait franchi le bord, alors qu’il m’avait permis de retirer mon pied hésitant. Et c’est peut-être en cela que réside toute la différence : peut-être que toute la sagesse, et toute la vérité, et toute la sincérité, sont concentrées dans ce laps de temps, impossible à mesurer, au cours duquel nous franchissons le seuil de l’invisible.
(…) C’était une affirmation, une victoire morale acquise au prix d’innombrables défaites, d’abominables terreurs, d’abominables satisfactions. Mais c’était une victoire ! C’est pourquoi je suis resté fidèle à Kurtz jusqu’au bout et même au-delà, quand bien longtemps après j’entendis à nouveau, non point sa propre voix, mais l’écho de sa magnifique éloquence que me renvoyait une âme d’une pureté aussi transparente qu’une falaise de cristal.
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Elle marchait à pas mesurés, drapée dans des tissus frangés à rayures. Elle foulait la terre avec fierté, accompagnée par le flamboiement et le tintement léger de ses ornements barbares. Elle portait haut la tête et ses cheveux étaient rassemblés en casque; ses jambes étaient habillées de cuivre jusqu'aux genoux et du fil de cuivre lui faisait des gantelets jusqu'aux coudes. Un point rouge marquait sa joue brune, elle avait au cou d'innombrables colliers en perles de verre et elle portait des pendeloques bizarre, des talismans offerts par des sorciers, qui scintillaient et tremblaient à chaque pas. Elle devait avoir sur elle la valeur de plusieurs défenses d'éléphant. Elle était indomptée et superbe, I'oeil farouche, magnitique.
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Le fleuve s'ouvrait puis se refermait derrière nous comme si la forêt nous barrait la route sans se presser pour nous empêcher de repartir dans l'autre sens. Nous pénétrâmes toujours plus avant dans le coeur des ténèbres.
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"Dites-moi, je vous en prie, qui est donc ce M. Kurtz ?" "Le chef du Poste de l'Intérieur", répondit-il brièvement et sans me regarder. "Grand merci, fis-je en riant. Et vous êtes le faiseur de briques du Poste Central. Tout le monde le sait." Il garda le silence un instant. "Il est prodigieux, dit-il enfin. C'est un homme, un messager de compassion, de science, de progrès, et le diable seul sait de quoi d'autre. Il nous faut, commença-t-il à déclamer d'un coup, afin de mener à bien cette grande mission qu l'Europe nous a pour ainsi dire confiée, une intelligence plus haute, une grande ouverture morale, le sacrifice de tout ce qui n'est pas le but à atteindre." "Qui dit cela ?" demandai-je. "Pas mal de monde, répliqua-t-il. Il y en a même qui l'écrivent ; et alors cest LUI qui arrive, un être spécial, ... "
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