Le Miroir de la mer

Celui, homme ou peuple, qui, mettant sa confiance dans l'amitié de la mer, néglige la force et la ruse de sa main droite, est un imbécile! Comme s'il était trop vaste, trop puissant pour avoir des vertus ordinaires, l'océan n'a pas de compassion, pas de foi, pas de loi, pas de mémoire. Son inconstance ne peut être maintenue dans la loyauté envers les desseins des hommes que par une détermination inébranlable et une vigilance sans cesse en alerte, armée, et jalouse, dans laquelle, peut-être, il est toujours entré plus de haine que d'amour. Odi et amo pourrait bien être l'aveu de ceux qui, consciemment ou aveuglément, ont abandonné leur existence à la fascination de la mer. Toutes les passions tempétueuses des premiers temps de l'humanité, l'amour du butin et l'amour de la gloire, l'amour de l'aventure et l'amour du danger ainsi que l'immense amour de l'inconnu et de vastes rêves de domination et de pouvoir, ont passé comme des images réfléchies par un miroir ne laissant aucune trace sur le mystérieux visage de la mer. Impénétrable et dépourvue de cœur, la mer n'a rien donné d'elle-même aux prétendants à ses faveurs précaires. À la différence de la terre, aucune dose de patience ou de labeur ne peut la subjuguer. En dépit de sa fascination qui a attiré tant d'hommes vers une mort violente, son immensité n'a jamais été aimée comme les montagnes, les plaines, le désert lui-même ont été aimés.

La puissance du Vent d'Ouest trône sur l'horizon occidental avec tout l'Atlantique Nord en guise de tabouret pour ses pieds tandis que les premières étoiles qui scintillent forment un diadème pour son front.
C'est alors que les marins, attentifs courtisans du temps, se préoccupent de régler la conduite de leurs navires sur l'humeur du maître.
Le Vent d'Ouest est trop grand roi pour dissimuler: ce n'est pas un calculateur tramant de ténébreuses manœuvres dans un cœur sombre; il est trop fort pour recourir à de petits artifices; il entre de la passion dans toutes ses humeurs, même dans l'humeur suave de ses jours de sérénité, dans la grâce de son ciel bleu dont l'immense et insondable tendresse reflétée dans le miroir de la mer embrasse, possède, berce pour les endormir les navires aux blanches voiles. Il est tout pour tous les océans; il est comme un poète assis sur un trône : magnifique, candide, barbare, songeur, généreux, impulsif, changeant, insondable; mais, lorsque vous le comprenez, toujours le même.
Certains de ses couchers de soleil ressemblent à de somptueux cortèges imaginés pour le plaisir de la foule, où tous les joyaux du trésor royal sont exposés au-dessus de la mer. D'autres sont comme les premiers mots de sa royale confidence, teintés de pensées de tristesse et de compassion au milieu d'une splendeur mélancolique et méditant sur l'éphémère paix des flots. Et je l'ai vu exprimer la colère contenue de son cœur dans l'aspect du soleil inaccessible, et le faire briller férocement, tel l’œil d'un autocrate implacable dans un ciel pâle et effrayé.