La Compagnie Noire, tome 2 : Les Livres du Sud

C’est comme ça que j’ai rencontré Corbeau. Sauf qu’il se faisait appeler Choucas à l’époque. Je ne savais pas que c’était un espion de la Rose Blanche. Tu m’étonnes… personne ne le savait, sans quoi il n’aurait pas fait de vieux os. C’était juste un vieil éclopé qui se prétendait ancien soldat sous les ordres du Boiteux, réformé pour ses douleurs à la jambe. Il s’était installé dans une vieille maison abandonnée qu’il avait restaurée. Il gagnait sa croûte en se tapant les corvées des autres. Les Gardes touchaient une bonne solde et les Tumulus se trouvaient à cent cinquante kilomètres à l’intérieur de la Grande Forêt où il n’y avait rien pour la dépenser à part la bibine. Choucas ne manquait pas de chaussures à cirer, ni de chambrées à balayer ou de chevaux à étriller. Ça lui arrivait de passer au bureau du colonel et de jouer aux échecs avec lui, et, d’ailleurs, c’est là que je l’ai croisé pour la première fois.
D’emblée j’ai pensé que ce type cachait quelque chose. Non pas qu’il fût du camp de la Rose Blanche, mais on flairait que ce n’était pas un garçon de ferme fugueur comme moi ou un gamin des taudis engagé faute d’avoir trouvé que faire de sa peau. Il avait de la classe quand il le voulait. Il avait de l’éducation. Il parlait peut-être cinq ou six langues, il savait lire et je l’ai entendu tenir avec le vieux des conversations où je n’entravais rien.
Alors ça m’a donné cette idée : j’allais devenir son pote et le convaincre de m’enseigner à lire et à écrire.
Toujours le même refrain, voyez. S’enrôler dans l’armée, c’était fuir la ferme, partir à l’aventure pour la belle vie. Apprendre à lire et à écrire, c’était quitter l’armée, repartir à l’aventure et le tremblement.
Ben voyons.