Citations sur Les attachants (20)
Ne pas s'attacher aux gens. Simplement les aimer.
Les supporter.
Les accompagner.
Et les laisser partir.
Emma a pensé qu'ils existaient encore, ces enfants qui n'avaient jamais vu la mer ou la montagne, autre chose que la barre de leur immeuble. On pourrait sauver l'humanité rien qu'en sortant ces enfants des limites de leur territoire.
Emma a maudit en silence les parents indignes, les faibles, les irresponsables, qui sont légion. Qui se reproduisent. Mal. De travers. Sans respect les uns pour les autres. Ce n'était pas une belle pensée, indulgente et constructive, mais au diable la tolérance. Elle ne s'appelait pas Aucalme.
Emma ne lui avait posé aucune question, parce qu'elle ne voyait pas comment aborder le sujet avec l'enfant. Dans sa formation professionnelle, il n'existait pas de module « gestion des enfants battus, approche psychologique de la douleur, de la peine et de la sauvagerie des pères de famille violents». Et quelles questions aurait-elle pu poser à l'enfant : ça y est, la procédure est en cours ? Les policiers sont venus ? Ils ont arrêté ton papa ? Ils ont serré ses poignets dans des menottes en le traînant au commissariat ? Ça y est, tu es débarrassé de lui, de sa mauvaise humeur, de son habitude de lâcher des coups sans y penser ? Ce ne sont pas des questions que l'on pose.
On a attendu que la mère de Myriam vienne mais elle ne répondait pas au téléphone. Probablement qu'elle avait dû écluser autant que le père. Les deux ne travaillent pas et peut-être que, pour s'occuper, ils s'envoient des litrons dans le gosier à longueur de journée. C'est une activité commune, forte, qui fait sens et peut cimenter les liens du couple, une passion partagée à deux. De quoi s'aimer pour l'éternité.
Mon fils s’appelle Valentin, elle pense.
C’est le prénom que donnent à leurs enfants les gens qui lisent des histoires dans des romans et ils se posent des questions profondes et sérieuses, du genre, peut-être que c’est une histoire qui est vraiment arrivée, ce que raconte l’auteur ? Parce que si elle était vraie, le monde serait une poubelle. Le monde serait une horreur. Le monde serait un enfer sans nom. Il ne faudrait pas que cela arrive, jamais.
On est pas là pour sauver la vie des gens, on ne peut pas changer les destins, on ne sert pas à grand- chose, finalement. Un caillou ne dévie pas le cours de la rivière et je suis quoi, moi, une caillasse, un galet, rien, et l'eau me passe dessus et les emporte, ces gosses, loin, sans que je puisse rien faire.
On pourrait sauver l'humanité rien qu'en sortant ces enfants des limites de leur territoire
Peut-être qu'elle voulait raconter à Emma comment c'était humiliant, de ne pas pouvoir aider son enfant, de la laisser se débrouiller dans une langue qu'elle ne possèdait pas. De ne pas être à la hauteur. Nos enfants nous dépassent, nos enfants nous enterrent, nos enfants nous survivent. Comment dit-on, en français, cette infinie tristesse de les contempler, de constater à quel point ils nous sont étrangers ?
A réfléchir sur la nécessité de vivre avec quelqu'un qu'on n'avait pas vraiment choisi. Qui s'était imposé et dont on aurait du mal à se débarrasser.